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Page:Lemonnier - Un mâle, 1887-1888.djvu/3

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Les toits de chaume, tapés à cru de ce jaune d’or de la lumière de midi, avaient des tons de poisson rissolant à la poêle. Des bouffées de chaudière sortaient des maçonneries surchauffées. Et, tout à coup, la gaîté un instant assoupie se réveilla. Cette fois, elle allait durer jusqu’à la nuit. Les cabarets se remplirent de tablées plus compactes alors. Un moutonnement de foule ondula aux abords des endroits où l’on buvait. Les pompes à bière gloussèrent sans discontinuer. Et le houblon fut absorbé par baquets.

Le seuil des portes était occupé par les vieilles femmes, en cornettes propres. Elles étaient assises, leurs mains repliées sur les genoux, et regardaient passer la joie dans le chemin. Le plaisir d’être encore de ce monde, après tant de kermesses dont elles avaient eu leur part, mettait une détente sur leurs faces boucanées, éraflées d’une infinité de raies. Leurs rides souriaient. Et elles demeuraient là, réjouies, remplies du temps passé.

Le village, à présent, débordait dans la rue. Des bandes de filles, au nombre de six et de dix, passaient bras dessus bras dessous, occupant la largeur du pavé. Leurs robes bleues, vertes, blanches, à pois rouges et jonquille, faisaient dans la lumière comme des trous de couleur. Et elles s’avançaient, marchant lentement et se balançant sur leurs hanches. La pommade donnait à leurs chevelures des brillants de plaques de métal. Des collerettes montaient en tuyaux dans leurs cous bruns. Les niaises baissaient les yeux, étourdies de leur luxe de toilette, et les autres hardiment jetaient de leurs lèvres rouges des volées de sourires aux garçons qui se poussaient du coude sur leur passage.

Une grosse concupiscence s’allumait dans la foule. Celle-ci s’écoulait le long des maisons, d’un mouvement continu qui traînait sur le pavé, avec un frottement monotone, et un peu plus loin gagnait la campagne, enfilait les sentiers, se débandait derrière les haies. Des marchandes avaient installé des tables contres le mur de l’église. C’était une invitation qui arrêtait les hommes, les filles et les enfants, les retenait devant les étalages avec des regards de convoitise. Il y avait là, sur des nappes à carreaux rouges et blancs, des bocaux de pains aux amandes, de boules en sucre, de gimblettes et de macarons. Des paquets de saucissons pendaient, plaqués de rondelles graisse. Des pains d’épices s’amoncelaient, avec leurs croûtes luisantes. Et sur les assiettes séchaient des tartes à la confiture de pruneaux, saupoudrées de sucre et de poussière. On voyait, en outre, des cigares, des pipes, des poupées à tête de cire, des mirlitons, des trompettes en bois, et, dans un carton spécial, des boucles d’oreille, des broches, des anneaux, toute une joaillerie de pacotille, émaillée de pierres rouges, jaunes et vertes, auxquelles le soleil arrachait des flambées. En face des marchandes, de l’autre côté de la place, des êtres noirs, patibulaires,