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Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/156

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qu’il fût là, lui, avec ses emportements de tendresse sauvage et ses grandes caresses brutales, qui la secouaient des pieds à la tête.

Cougnole, pour prix de sa docilité, eut une abondance de choses. Germaine lui apportait de la nourriture et des vêtements, en quantité. Elle mentait chez elle, pour obtenir davantage, la disait très souffrante, insinuait que la fin de ses misères était prochaine ; et quelquefois même, elle prenait sans demander. Un jour, elle mit dans son panier des chemises qui avaient servi à sa mère ; une autre fois, elle y glissa une paire de draps de lit de belle toile, dépareillant ses armoires dans son zèle à la payer. Et un peu de crainte s’alliait à cette fureur de lui être agréable. Si elle allait parler ! Un obscurcissement de plus en plus grand s’appesantissait ainsi sur elle.

La masure était bien placée, du reste, pour le mystère de leurs rendez-vous. Cachée par le bois à l’arrière, elle alignait sa façade à front de route ; mais peu de monde fréquentait la chaussée, qui s’allongeait, grise, sombre, avec sa monotonie de grands arbres, dans un délaissement de vieille route royale. Par moments, un piétinement lent de chevaux entrecoupait le bruit sourd des roues cahotant sur les pavés ; des fouets claquaient, et des équipages de rouliers charriant de la houille, du bois ou des fourrages passaient, se perdaient dans la sourdeur de l’éloignement.

Ils demeuraient là bien seuls, en réalité : la porte close et le verrou tiré, ils pouvaient se croire séparés du reste des hommes. Le silence des forêts semblait se continuer dans le silence de la petite pièce, où seule sonnait la pendule, une vieille pendule rechignée, dont les rouages avaient l’air de renâcler, et ils avaient des enchantements à la pensée de mener une vie pareille le reste de leurs jours.