Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/233

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fumiers bruissaient dans la cour, pleins de fermentation, et ce bruissement montait, se perdait dans le silence du jour.

Une floraison universelle constellait l’étendue. Les pâquerettes étoilaient les pentes, par jonchées, et les champs étaient pareils à des bouquets prodigieux étalés dans la clarté. Des taches roses signalaient au loin les luzernes. Les colzas flambaient des scintillations pâles qui s’étendaient de proche en proche, finissaient par se noyer dans l’horizon. Et la houle glauque des blés ondulait, par larges masses dormantes. Des myriades de points lumineux épinglaient la rondeur ventrue des buissons ; une phosphorescence allumait, le long des eaux, les berges gazonnées ; des coins d’herbage braséiaient, ensanglantés de coquelicots ; et le bleu, le jonquille, le rouge criblaient de paillettes ce tapis des verts sombres ou clairs.

Des courants d’odeurs musquées s’élargissaient au-dessus des végétations ; une ascension de parfums se faisait dans l’ascension des clartés ; à chaque frisson de vent, des bouffées s’épandaient, formaient une vaste nappe d’effluves qui, par moments, s’abattait. De grands papillons ocellés tremblotaient à ras des cultures ; des vols d’abeilles cognaient les fleurs ; les ruches et les nids étaient également en fête. Un chamaillis d’ailes remplissait l’épaisseur des arbres, devenus semblables à des lyres ; chaque branche avait ses oiseaux, chaque feuille avait ses insectes ; et des pieds à la tête, le tronc et ses feuillages bruissaient, ronflaient, chantaient.

À mesure que se pressaient les jours, cette gaîté de la terre s’accroissait, prenait des allures de ribote et de folie. Une pléthore gonflait les choses ; la sève, surnourrie, exaspérait les arbres qui, rendus turbulents, poussaient en haut leurs bras, palpaient l’air, agitaient des cheve-