Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/250

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accroire ce qu’on avait voulu. Et il se rappelait sa froideur, ses paroles énigmatiques, cette attitude de personne contrainte qu’elle avait fait paraître si souvent.

Eh bien ! soit ! Tout serait dit. Lui, Cachaprès ferait une croix sur le passé, mais une croix à sa façon qui pourrait bien être du même coup celle qu’on mettrait au cimetière sur cette Germaine détestée. Aussi bien, il était las de colporter partout avec lui cette blessure profonde. Une bête blessée, ça se refait dans le bois ; mais sa plaie à lui n’était pas de celles qui guérissent. Il en avait assez de l’attendre éternellement, souhaitant sa chair, et d’être déçu. Ce n’était plus vivre, cela. Et le reste de la création n’était pas assez désirable pour qu’il pût se rattraper ailleurs de ce bonheur qui le fuyait, comme une proie insaisissable. Elle lui avait fait prendre en dégoût ses plus chères jouissances ; le métier d’homme libre qu’il pratiquait à la face du jour lui semblait abominablement ennuyeux à présent ; le bois et ses silences lui pesaient ; il était sans convoitises pour le gibier ; l’ancien ravageur, amolli par les songeries, laissait passer avec indifférence sous les feuillages les hardes agiles qu’il pourchassait autrefois.

Il avait en outre des tristesses nouvelles, inconnues ; il pensait à son enfance vagabonde et solitaire, aux siens qui comme lui avaient vécu dans les bois, un peu mieux que les sangliers et les loups, mais tristes, rudes, défiants, dans des huttes semblables à des tannières, ne connaissant ni le bien-être ni la douceur, sans désir, fermés à tout, insensibles à l’amour des jolies filles, à l’abondance du cellier, à la belle nourriture, vivant ensemble sans savoir pourquoi, mettant bas leurs enfants comme des petits, sauvages, sournois, sombres, finalement conduits à la fosse sans cortége, seuls au dernier comme au premier jour. Tandis que d’autres, les Hayot, par exemple, les