Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/252

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dans l’abondance de toutes choses. Brigand ! on était bien bête de ne pas l’être jusqu’au bout, de ne pas se mettre en rébellion contre l’injustice, de ne pas troquer sa vie de misère contre une vie indépendante et large.

Pendant deux nuits, il rôda autour de la ferme des Hulotte, tourmenté par le besoin de la vengeance. Des pailles étaient amoncelées dans les hangars : il n’aurait eu qu’à laisser tomber le feu d’une allumette ; toute la ferme aurait flambé ; à la faveur de l’incendie, il se serait coulé jusqu’à elle, et face à face, au milieu des flammes, il lui aurait crié :

— Ta maison, ton père, tes frères, tes domestiques, les bêtes de tes étables et de tes écuries brûlent à cause de toi. Hurle, démène-toi, appelle à l’aide ; je te tiens ; je veux voir ce que tes os feront de poussière.

Une répulsion native pour les œuvres lâches lui fit abandonner ce projet. Qu’est-ce que ces gens lui avaient fait ? Rien de mal. Il n’en voulait qu’à Germaine.

Elle lui avait montré un jour une des fenêtres de la maison, du côté du verger, en lui disant que c’était la fenêtre de sa chambre.

Un rayon de lune bleuissait les vitres, tandis qu’il les regardait, caché derrière la haie et ruminant des idées scélérates. C’était là qu’elle dormait, là qu’elle reposait demi-nue ; et il se figurait son corps superbe couché dans la tiédeur des draps, ses seins dressés. Une soif de voluptés féroce faisait bouillir son sang ; le cœur lui montait à la gorge, dans des spasmes ; il rêvait de monter jusqu’à elle, de lui coller sa bouche aux dents, et l’instant d’après, de lui plonger un couteau dans le cœur !

Le pré blanchit autour de lui, sans qu’il s’aperçût de l’approche du jour, et il demeurait couché à terre, contre la haie, hébété, regardant maintenant pointer dans les vitres, à la place de la lune blonde, l’aube rose qui montait.