Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/260

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les autres étaient pour lui, l’aidaient de leurs renseignements par moments. Il savait par eux les remises des bêtes, leurs passages, la tactique des gardes, et en retour, prodigue à leur endroit de bière et d’argent, il leur apportait en outre du gibier qu’il mangeait avec eux, en secret, toutes portes closes.

Ses hâbleries contre les braconniers le perdirent. Ceux-ci s’exaspérèrent de l’entendre déblatérer dans les cabarets, et une jalousie s’ajoutant à leurs rancunes, ils conçurent le projet de le vendre. Cachaprès, pratiquant seul, pour son propre compte, était détesté de la plupart de ces hommes travaillant en commun, au profit de la masse. Ce solitaire était une gêne pour eux ; non-seulement il s’obstinait à ne point partager le bénéfice de ses rapines, vivant d’une vie large, mais il avait un instinct du bois qui lui faisait faire des rafles merveilleuses.

Un d’entre eux fut chargé de l’acculer dans un guet-apens. Il lia connaissance avec Cachaprès, trinqua, le laissa gagner aux cartes, finalement lui renseigna mystérieusement un endroit giboyeux, lui offrant de faire part à deux. Le gars, malgré sa ruse, accepta sans défiance.

On alla poser de compagnie les collets. Il faisait une belle nuit claire. La lune tissait entre les arbres une lumière bleue, pâle comme un brouillard. Les mousses, emperlées de rosées, luisaient. Et un peu de la chaleur du jour traînait encore dans les taillis, mêlé aux fraîcheurs profondes du bois. Les deux hommes se mirent à rôder dans les sentiers ; ils avaient quitté le cabaret sur le tard. Point n’était la peine de rentrer, et tout en devisant et lampant une bouteille de genièvre que Cachaprès avait apportée avec lui, ils attendirent les clartés de l’aube. Le ciel se lama d’argent, les bois frissonnèrent, le vent chamailla dans les taillis, ils entendirent l’éveil des