Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/57

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fois renâclaient, avec un bruit de gargarisme. Une chaleur d’étuve s’était abattue sur la campagne.

Lui se sentait envahi de cette immense torpeur qui saisit la terre au printemps, comme une accouchée. Il se vautrait dans l’herbe avec la jouissance des bœufs cherchant le frais. Il avait besoin d’un calmant à la fermentation sourde de son corps. Et des feuillages glauques de la berge en fleurs, du ruisseau montait une âcreté qui le rendait lascif. Des bâillements convulsaient ses mâchoires. Il se tordait les bras au-dessus de sa tête, ou serrait ses poignets dans ses doigts à les briser. Par moments, il se roulait dans les herbes, collait sa peau chaude contre leur moiteur, passait une feuille sur sa langue ; et des soupirs soulevaient sa poitrine. Un rossignol, caché dans un coudrier, chantait sur cette peine solitaire.

Tout à coup les feuillages furent secoués d’une ondulation. Le coassement des grenouilles s’exaspéra. Et Cachaprès vit le fond de l’eau, doré la minute d’avant, s’ardoiser d’un gris sourd. Puis de grosses bouffées traînèrent à ras du sol, avec ce froissement long des herbes heurtées ; et un grondement roula dans la profondeur de la forêt. Les oiseaux se taisaient.

Au même instant une voix retentit dans le sentier par où descendaient le troupeau et la tache massive des vaches apparut à la barrière.

— Hu ! hia ! criait la voix.

Il se leva d’un bond, traversa la prairie et vit Germaine en train de lever les traverses.

— Salut ! dit-il, y va faire gros temps.

Un éclair déchira le ciel et tout aussitôt de larges gouttes de pluie s’aplatirent sur les feuilles. Le tonnerre gronda ; puis, subitement, la nuée creva, s’écroula dans une formidable averse. L’eau tombait par rayures droites, larges comme des lanières, fouettant le bois d’un crépite-