Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cachaprès calcula qu’il avait quatre heures encore avant le jour. Une heure de marche pour gagner la cabane des Duc, une heure pour se reposer, puis deux heures pour chercher le gibier, le charger et se mettre en route pour la ville, cela lui suffisait.

Il coupa à travers la forêt. Il marchait dressé de toute sa taille, continuant seulement à étouffer le bruit de ses souliers, par une vieille habitude. Et, le cœur gai, sifflotant un air entre ses dents, il passait à travers les éclaircies de lune, sous les hêtres balancés au vent. Des lapins partaient de dessous ses pieds. Il les écoutait filer dans les genêts, leurs ongles égratignant la terre d’un grattement sec. Et, d’autres fois, des fouines, des mulots, des blaireaux le frôlaient de leurs corps minces. Il abattit une fouine du plat de son talon, tua à coups de couteau deux lapins, atteignit d’une énorme volée de sa trique un harret, accomplissant ainsi sa besogne d’extermination et couvert d’un peu plus de sang à chaque massacre. Il était l’oreille ouverte à toutes les agitations de la nuit, la ruse éternellement vigilante, la main invisible qui cogne, frappe et tue ; il était la mort. Les bois semblaient secoués d’un long frisson à son approche.

Il marcha pendant une heure et arriva à la hutte des Duc.

— Hé ! vieille hase ! cria-t-il en heurtant à la porte.

Une voix éraillée grommela de l’intérieur :

— Est-ce toi, fieu ?

— Oui.

Au bout d’une minute, un pied nu claqua à terre, et la vieille apparut, sèche comme un squelette, ses vertèbres moulés dans sa chemise de grosse toile. Elle était habituée à ces apparitions matinales.

— Qué nouvelle ? fit-elle.