Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/79

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collet, ouvrait d’énormes yeux demi-sortis des orbites. Une bave coulait des naseaux. Et la bête, ayant râlé la mort, avait laissé pendre sa langue blême dans une grimace convulsée du mufle.

Il la chargea sur ses épaules ; puis courbé, bondissant d’arbre en arbre, il prit sa course.

Au Rond-Chêne, la Duc l’attendait. C’était un arbre très large et le plus gros chêne de cette partie du bois. Cela lui avait valu d’avoir un nom parmi les autres. Il avait poussé au milieu d’un fourré.

— Hardi ! vieille Hase ! cria le gars, v’là le soleil qui tape !

Un éblouissement passa dans l’air : c’était le premier rayon qui s’abattait à travers la forêt. Alors Cachaprès fut pris d’une rage d’activité. Avec des gestes rapides et précis dont aucun n’était perdu, il aida la vieille à couper les ramons, les entassant ensuite et les liant avec de la corde. Et quand il y en eut une pleine charge, il étendit le chevreuil sur une première couche, le corps tourné en rond, les pattes repliées et la tête au ventre. Une seconde épaisseur couvrit la bête, et il tassa le tout de toute la force de ses bras, pesant à plein corps sur la brouettée.

P’tite, pendant ce temps, allait et venait, faisant le guet. On entendait continuellement le froissement des feuilles sèches sous son piétinement pressé.

— Hardi ! hardi ! criait toujours le gaillard.

Il leva la brouette et la poussa à travers le taillis jusqu’à la coupe de bois. Là, il fit halte. Il commanda à la Duc de ramasser des ramées.

— Et toi, Gadelette, aie l’œil.

Il alla à la cachette du chevrotin. La bête avait gardé de son effroyable agonie une douceur triste. Une désolation mêlée de stupeur nageait dans son œil large ouvert, comme un retour de vie.