Page:Lemonnier - Un mâle, Kistemaeckers, 6e éd.djvu/84

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— Et c’ti-ci, donc ! Si j’avais écouté mon sentiment, vrai, je l’aurais laissé dans le bois. Un amour de bête, et qui n’a pas sa pareille ! Regarde son museau. Y en a-t-il beaucoup qui t’apportent de la marchandise comme ça ? Tiens, Bayole, ça m’émeut de le voir couché là. Une si belle pièce ! M’en faut des deux, cinquante et vingt avec, ou rien de fait. J’repars, j’reporte mon chevreuil avec moi. J’aime mon métier, moi ; j’suis pas un boucher, nom de Dio !

Il s’attendrissait sur sa chasse. Il se trouvait bien bon de penser aux marchands par ce beau soleil. Il y avait trois nuits qu’il était à l’affût de son brocard. Il avait failli être pincé par les gardes. Et d’autres choses semblables. Puis il s’emporta contre les gens qui ne savent pas reconnaître une pièce rare d’une pièce ordinaire. Sa voix eut même en cet instant un tremblement d’indignation. Et, tout à coup, il poussa le coude à Bayole, lui reparla de son prix.

Bayole était en veste de toile blanche : un large tablier blanc pendait le long des cuisses. Il avait un magasin de gibier très connu, dans une rue voisine. C’était un petit homme court et gras, la figure pâle, avec des joues glabres retombant sur son col de chemise. Il se balançait devant Cachaprès, les yeux tournés du côté des chevreuils, ses mains dans les poches, le laissant dire.

— Eh ben, quoi ? Combien ? répéta le braconnier. À la fin, il se décida. Il haussait les épaules, plissait la bouche avec indifférence.

— Pour ce que ça vaut, dit-il, soixante francs c’est un bon prix.

Alors l’autre s’encoléra pour de bon.

— Soixante francs ! T’en rirais toute ta vie. T’as donc pas de cœur au ventre que tu m’offres soixante francs !