Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/194

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une main à la barre, l’autre pendante au fil de l’eau qui la rafraîchissait.

Par instants, tous deux se contemplaient et s’enivraient l’un de l’autre ; leurs beaux regards rayonnaient de la sainte joie des cœurs, lorsque, à un détour de la rivière, dans le demi-jour verdâtre tamisé par les aunes, en écoutant le frémissement des feuilles, Mésange eut un frisson brusque, un tressaillement involontaire, et devint toute pâle.

— Qu’as-tu donc, ma pauvre Mésange ? froid peut-être. Un bras nu dans l’eau. C’est imprudent.

— Non, non, c’est autre chose, dit-elle en hochant la tête ; une pensée noire, un pressentiment, une horrible crainte m’a serré le cœur.

— Que veux-tu dire ? Parle, je t’en prie ! Qu’avons-nous à craindre ?

— Je ne sais… mais je souffre d’une vague appréhension dont je ne me rends pas compte… Je rêvais que j’étais trop heureuse… que les grands bonheurs durent peu… je croyais voir passer des nuages dans notre ciel.

— Songe fantastique, ma belle peureuse… Et moi qui te croyais brave !

Mais, toute frémissante, elle appuya sa tête inquiète contre la poitrine de Georges, comme y cherchant un refuge, et l’étreignit convulsivement de ses deux bras.