Page:Lemoyne - Œuvres, Une idylle normande, 1886.djvu/206

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

là, celui qui depuis deux ans ne peut rien voir ni rien entendre !

Elle se sentit défaillante, et, prise d’un frisson mortel, eut une vraie crise de larmes. Mais elle essuya vite ses joues en entendant derrière elle le pas de sa mère montant les dernières marches de granit.

— Tu as pleuré, ma fille ?…

— C’est le grand vent de mer qui nous fouette les yeux, répondit-elle en essayant de sourire.

— Descendons, tu n’y tiendrais pas.

D’autres fois, levée avec le soleil, elle s’en allait toute seule, emportée par son bel arabe noir, jusqu’à la descente pittoresque et sauvage où commence la Grande-Côte. Narines ouvertes et la crinière au vent, Mistral semblait aspirer dans la brise de mer comme un souvenir du pays natal. A l’aspect de ces larges grèves étalées à perte de vue, l’impressionnable et fin pur-sang, dans sa noble intuition de race, rêvait de ces grands déserts de sable où dormaient ses glorieux ancêtres d’Orient. Il semblait entrevoir, comme par un effet de lointain mirage à travers les âges, ces merveilleuses contrées d’outre-mer qu’il n’avait jamais connues, mais qui lui apparaissaient comme dans une perspective étrange, à la fois lumineuse et confuse.