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Page:Lenotre - La Mirlitantouille, épisode de la Chouannerie bretonne, 1925.djvu/157

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LA MIRLITANTOUILLE

bonds le courtil et s’enfoncent sous le couvert des vergers. Madame de Kerigant demeure seule avec ses deux très jeunes enfants[1]. Elle prend le plus petit sur son bras, saisit la main de l’autre et se présente ainsi aux républicains. Ils envahissent le manoir et se font ouvrir toutes les pièces, sans aucun résultat ; puis ils explorent les abords et s’avancent jusqu’à la rivière d’Oust que contourne le promontoire sur lequel est posé Kerigant. Au travers des branches, ils aperçoivent, à quelque distance, trois hommes assis à l’ombre d’un arbre et « causant tranquillement », leur fusil entre les jambes. C’est Saint-Régent, Le Gris-Duval et son domestique, qui attendent, sans émoi, pour rentrer,

  1. L’un des fils de madame de Kerigant a, plus tard, relaté cette scène en un précieux petit volume qu’il faut lire avec précaution, car l’auteur a transcrit ses souvenirs de famille tels qu’il les avait bien souvent entendu raconter et sans prendre la peine de les soumettre à une critique sérieuse ni de les éclairer par une chronologie précise. Or, chacun sait par expérience combien les faits, ceux mêmes dont on a été personnellement le témoin, se brouillent et s’enchevêtrent dans la mémoire, s’ils ne s’y déforment point. Ainsi, M. de Kerigant a écrit que, ce jour-là, se trouvaient, entre autres, chez ses parents, Tinténiac et Bourmont, arrivant d’Angleterre. Le 21 juillet, Tinténiac, depuis trois ou quatre jours était mort et Pont-Bellenger le remplaçait au commandement de l’Armée rouge. Il n’est pas impossible que Bourmont fût là ; cependant on constate quelques jours plus tard sa présence, auprès du Roi, à Vérone, d’où il devait rapporter une lettre écrite par Louis XVIII à Charette et datée du 13 août. S’il séjournait à Kerigant le 21 juillet, il fallut qu’il effectuât en moins de 20 jours le long trajet de Bretagne en Lombardie, ce qui paraît court pour un proscrit dont la route est hérissée d’obstacles et de dangers. D’autre part, quoique M de Kerigant n’indique pas la date de cet épisode, il ne paraît pas possible d’en assigner une autre que celle du 20 au 21 juillet 1795, car il nécessite à la fois la présence de « Georges Cadoudal, de Mercier, de Saint-Régent », qui ne devaient, de longtemps, reparaître dans cette partie de la Bretagne, et l’intervention des soldats de Crublier, à la poursuite de l’Armée rouge. Or Crublier passait, le mois suivant, à un commandement dans l’Ille-et-Vilaine et opéra ensuite en Vendée. (Chassin, Pacifications, II, 58 et 98.)