Page:Lenotre - La Mirlitantouille, épisode de la Chouannerie bretonne, 1925.djvu/310

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
289
LA NUIT DU 4 BRUMAIRE

blique ; on la croyait si bien morte de ce coup de force, qu’on attendait le rétablissement prochain du Roi sur le trône ; c’est ainsi que, dans le département des Côtes-du-Nord, fut interprété le 18 brumaire. Déjà on annonçait l’abrogation des lois contre les émigrés, le retour des prêtres réfractaires ; l’ancien régime allait renaître ; la Révolution était morte[1].

En quoi l’on s’égarait : ayant passé l’âge des convulsions, elle rejetait, au contraire, ses langes sanglants, forte et, pour la première fois, séduisante. Tout de suite les esprits s’apaisèrent et, par un phénomène extraordinaire, de se sentir enfin aux mains d’un maître digne d’elle, la France, douée d’un prodigieux instinct de sagesse et de conservation, comprit que la tempête était passée[2]. L’événement, du reste, venait à son heure : depuis dix ans, malgré les haines sans merci, les ressentiments, les regrets, les indignations, s’était opéré, presque à l’insu de tous, un labeur patient, un cheminement obscur des idées nouvelles. Telle théorie qui avait paru, en 1789, monstrueuse et révoltante, semblait acceptable maintenant et ralliait ceux-là même qu’elle avait épouvantés. On était las aussi du

  1. Léon Dubreuil, La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord, p. 243.
  2. On citerait de cet état d’esprit maintes preuves : en est-il une plus frappante que les lignes qu’écrivait à cette époque Dufort de Cheverny, vieux royaliste persécuté et ruiné par la Révolution : — « Bonaparte a fait en vingt-quatre heures ce que tous les émigrés, le Roi, les Princes de Condé n’auraient pu faire en cinquante ans avec 40.000 hommes. Il a coupé les sept cent cinquante têtes de l’hydre, concentré le pouvoir en lui seul et a empêché les assemblées primaires de nous envoyer un tiers de nouveaux scélérats à la place de ceux qui vont déguerpir… La France serait très malheureuse de le perdre en ce moment-ci… » Mémoires, II, p. 419.