Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/198

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S’étant toujours dispensé des missions périlleuses, il n’a jamais conduit nos soldats à la victoire ; dans ses discours, on chercherait vainement « une lumière, une solution, une idée féconde, une indication utile » ; jamais il n’a pris l’initiative d’une loi d’instruction publique, de finances ou de défense nationale ; il n’a ni l’éloquence de Mirabeau ou de Vergniaud, ni l’esprit de Camille, ni la tumultueuse audace de Danton ; autour de la table du Comité souverain, son opinion ne pèse guère : « dans les délibérations d’affaires, il n’apporte que de vagues généralités[1] », beaucoup vont même, comme le fait Daunou, jusqu’à le taxer d’impuissance d’esprit et de nullité dans les conceptions législatives. S’il parle, c’est toujours de lui-même, des dangers auxquels l’expose son amour du peuple, des tyrans coalisés contre lui, de son intégrité, qui est réelle, et de sa vertu qui est hargneuse. Il est de ces hommes que peint Bossuet : « aveugles admirateurs de leurs ouvrages, ils ne peuvent souffrir ceux des autres ; si quelque critique vient à leurs oreilles, ils se font justice à eux-mêmes avec un dédain apparent… » Tout ce qui dépasse son niveau est voué au mépris et à la haine ; il n’a qu’un génie, celui du soupçon ; sa perpétuelle défiance voit partout des traîtres et des conspirations ; il s’absorbe dans une besogne de police où il est très expert, et que ses collègues lui abandonnent, « la jugeant plus répugnante que difficile[2] ».

Et pourtant, le voilà le maître : il a peuplé

  1. Mémoires sur Carnot, I, 524.
  2. Idem.