Page:Lenotre - Robespierre et la « Mère de Dieu », 1926.djvu/44

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peuple, excitant les pauvres, usant de tous les moyens, sarcasmes, invectives, calomnies, insinuations, menaces, promesses, hâbleries, se posant en martyr de la liberté, en unique défenseur des opprimés et des humbles ; dénonçant comme hostile à leur cause son protecteur Dubois de Fosseux[1] ; rédigeant de sa main le cahier des doléances de la corporation des savetiers ; attaquant le gouverneur et les États d’Artois ; s’érigeant en contrôleur des scrutins ; conjurant les naïfs électeurs du Tiers, prêts à tout croire, « d’éviter les pièges grossiers » qui leur sont tendus et de nommer des hommes incorruptibles, se désignant lui-même à leurs suffrages par cette épithète dont il fut ainsi le premier à se qualifier.

Les bourgeois d’Arras étaient stupéfaits de la frénésie subite qui secouait ce petit homme, de taille médiocre, d’apparence fluette, malgré de larges épaules, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, au regard indécis, « à l’abord froid et presque repoussant[2] », qu’ils avaient connu sournois, certes, mais d’apparence déférente, et réservée. De le voir tout à coup se ruer en furieux contre les institutions et les magistrats de la province, souffler la révolte aux candides populations des campagnes, beaucoup s’étonnaient, quelques-uns s’inquiétaient ; mais nul ne protesta : les honnêtes gens de ce temps-là, déjà nonchalants et apathiques, préféraient le silence au

  1. Dubois de Fosseux s’était rendu coupable d’une plaisanterie à l’égard d’un certain Delmotte, dit Lantillette ou Languillette, savetier, connu de tout Arras pour son adresse à retirer les seaux tombés dans les puits. Paris, 336.
  2. Note de M. Devienne, ancien procureur au Conseil d’Artois. Paris, 76.