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derrière les vieux murs en ruines

Ils furent épargnés une seule fois, en 1911, lors de la dernière incursion berbère. Le cheikh de la kasbah voisine de Berrima, un vieux coupeur de routes, avait une réputation de bravoure. Les notables israélites vinrent se mettre sous sa protection en immolant devant lui deux taureaux. Cheikh Ahmed ne pouvait se dispenser de les défendre. Il le fit avec tant de vaillance que le Mellah et Berrima furent les seuls quartiers préservés.

Je contemple nos hôtes : ceux du passé qui gardent encore le calot noir et la lugubre djellaba ; qui connurent les plus humiliantes interdictions : défense de monter à cheval ou à mule, de revêtir des étoffes de couleur, de chausser des babouches, de passer devant une mosquée autrement qu’à quatre pattes, comme des chiens. Puis mes regards se reportent sur ceux du présent, les fiancés qui préparent l’avenir. Isthir est une belle fille vigoureuse ; elle aspire à s’échapper vers une plus large destinée. Malgré son aspect débile, Haroun rumine de vastes projets. Il doit être persévérant, intelligent et débrouillard, comme tous ceux de sa race ; il a sans doute en lui l’envergure d’un négociant ou d’un banquier. Une certaine gêne les paralyse encore tous les deux, tels ces derniers relents qui s’attardent au Mellah, malgré les travaux d’assainissement. Mais leurs manières ont déjà perdu presque toute servilité. Demain ils relèveront la tête.