Page:Leo - Aline-Ali.djvu/63

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Mais tel qu’il est, tu ne ferais, en le repoussant, — au contraire des autres femmes, — que le sacrifice de ta réputation à ta dignité.

« Ah ! si j’étais libre encore !… avec quelle haine et quel orgueil resterais-je libre !… Et comme à mon tour je garderais à moi, à moi seule, mon enfant, en chassant loin de moi le despote sans âme qui ose attenter à mes droits de mère ! Aline, les femmes ignorent leur puissance. Elles ont perdu leur âme dans l’esclavage, et se jettent, aveuglées, les unes au-devant du joug, les autres à corps perdu dans la honte. Comment l’amour maternel ne les rend-il pas à lui seul capables de la révolte et dignes de la soutenir ?… Alors, il est vrai, déjà enchaînées, prises par l’enfant même, ce doux être frêle, qu’on redoute tant de meurtrir… Et moi aussi, moi aussi ! je ne possède plus d’autre force que celle de mon invincible protestation ! Le mariage pèse sur moi comme la pierre d’une tombe… Je ne puis agir, à quoi bon penser ? je ne puis aimer, à quoi bon vivre ?…

« Ma sœur, j’ai rompu vis-à-vis de toi le silence insensé que gardent les femmes les plus malheureuses vis-à-vis de leurs propres filles. Tu es avertie, garde-toi ! Plus tu es intelligente, fière et tendre, plus tu souffriras. Dans ce duel, si ancien déjà, de la liberté et du despotisme, au sein de nos civilisations fières de leurs progrès, le mariage est la forme la plus absolue et la plus complète de ce viol de l’être qui se nomme la tyrannie ! »

Épuisée de ce long discours, prononcé avec une extrême véhémence, Mme de Chabreuil se jeta dans un fauteuil, près de sa sœur, et le silence un moment régna dans cette chambre.