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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/132

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d’humeur, il se serait aperçu que la voix de Mme de Carzet en lui parlant était bien douce, et que son regard était bien rêveur. Depuis quelque temps elle aussi devenait fantasque, irritable. On lui voyait parfois les yeux rouges, et sa tendresse pour sa fille semblait plus passionnée que jamais.

Un jour que les courses du docteur l’avaient conduit non loin du moulin à vent, il y dirigea ses pas et s’arrêta sur le sommet du coteau où pour la première fois, dans les magnificences du soleil couchant, il avait admiré l’idéale beauté de la jeune veuve. Il était environ trois heures. Une grande lumière, tamisée par les mousselines du ciel breton, éclairait toute la campagne, et, comme au jour dont Émile évoquait le souvenir, à l’entrée de la pleine mer, entre les deux pointes, un transatlantique en partance, toutes voiles enflées, apparaissait entre l’onde et le nuage. Au loin, la Loire étincelait.

Sur cette vaste et belle vallée, sur ces admirables coteaux, sur toute cette nature qui, dans sa puissance, exhalait une joie sereine, le regard du jeune homme errait amer, et rempli de ces interrogations ardentes, soupçonneuses, que l’être humain, quand il souffre, adresse à l’être éternel.

Tout à coup, une voix frêle, dont il reconnut aussitôt le timbre, parvint à son oreille. C’était la voix de Marthe, qui appelait Jeanne, et l’on eût dit que cette voix venait d’en haut. Le cœur palpitant, car Marthe n’était jamais loin de sa mère, Émile se rapprocha du moulin. Il reconnut alors que la voix venait de la lucarne en haut de la