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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/5

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Et cet arrangement est si bien trouvé que tout y est bénéfice ; car moyennant cette apparence d’attention, Mlle Chaussat a le droit, à son tour, de raconter ses souvenirs de jeunesse au capitaine.

Ces deux existences, également isolées, se rapprochent encore par la communication réciproque de leurs contrariétés, de leurs rhumatismes, de leurs cauchemars ; ils se racontent le matin leurs rêves et font leur partie de piquet tous les soirs. Mais le plaisir le plus vif assurément qu’ils goûtent ensemble résulte de leurs entretiens sur autrui.

L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de paroles, dit l’Évangile, et ce que l’Évangile n’a pas assez dit, c’est que l’homme est avant tout, malgré tout, surtout, l’objet direct de l’homme. Loi inéluctable et à laquelle, des ignorants aux civilisés, du cannibale à Mlle Chaussat, chacun obéit à sa manière. Si l’amour des deux honorables voisins pour leurs semblables s’accusait aussi quelquefois par des coups de dents, c’est qu’il s’y mêlait cet amour du bien, auquel on a de tout temps sacrifié la créature. Et puis, quelque avidité est permise aux affamés. Il y avait dans ces existences une si grande lacune des fécondes amours qui apaisent et lénifient l’âme, si peu de place occupée sous ces deux toits !

Mlle Chaussat ne laissa donc point tomber l’insinuation du capitaine, et poussant un peu les volets et se penchant à la fenêtre avec un aimable sourire :

« Vous êtes bien méchant ! Est-ce