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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/50

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décerner des prix de couture, dans une fête qui eût rappelé celle des rosières. Mme Keraudet répondait à tout cela par des objections qui exprimaient à la fois beaucoup de complaisance sur les idées de ses hôtes et fort peu d’espérance à l’égard de leur réalisation.

— Il y a sans doute, disait-elle, de bonnes natures chez les paysans ; mais elles sont peu communes, et rien n’est plus difficile que de persuader ces gens-là. Ils vous écoutent le plus poliment du monde, approuvent à chaque mot, abondent largement dans votre sens, et puis s’en retournent chez eux faire comme auparavant : car vis-à-vis de tout ce qui est nouveau, et vis-à-vis de nous-mêmes, ils sont remplis de défiance.

Émile, qui depuis un moment se taisait, partit sur ce mot :

— Défiants ! eh ! sans doute ! ils ne nous comprennent pas, et nous le leur rendons bien. Or, pour que la persuasion soit possible, il faut une pénétration préalable. Les paysans nous jugent peu pratiques, et ils ont raison ; en outre, où nous risquons un peu ils risquent tout. Enfin, tant que le fait ne leur a pas apporté sa preuve, trop ignorants des choses de l’esprit pour bâtir d’éléments irréalisés leur conviction, ils s’abstiennent par frayeur de l’inconnu. Au fond, ce que nous leur reprochons est de ne pas nous croire sur parole. Eh bien ! une telle prétention de notre part est follement despotique, et rien ne me donne plus d’espoir en l’avenir de nos paysans que le refus obstiné qu’ils nous opposent, car c’est haute sagesse et pressentiment d’indépendance. Qui s’abstient, ignorant, choi-