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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/53

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bon de savoir ; ouvrir à la clarté de ce jour et de ce siècle ses yeux encore aveuglés par les ténèbres du moyen âge, voilà ce qu’il faudrait faire avant toutes ces choses, sans perdre le temps à tâtonner autour de réformes insuffisantes et superficielles. Car le peuple, instruit, changerait en forces actives, généreuses, cette force énorme d’inertie que maintenant il oppose au progrès. Et quelles que soient actuellement ses misères morales, je vous affirme que jamais terrain plus fécond n’aura récompensé les efforts de la culture mieux que ne le ferait cette bonne et riche nature du paysan français, si attaché au sol, si fin malgré tout dans son ignorance, et si patient dans sa misère. Les classiques instituteurs qu’on lui fabrique dans nos Sorbonnes le déclarent stupide ; je le crois bien : son instinct l’éloigne des puérilités abstraites et vides qu’on lui enseigne. Il veut des applications, non des mots. Posez sous ses yeux le grand livre de la vie et de la nature ; il n’épellera plus si longtemps, et bientôt vous le verrez en tourner avidement les pages.

Tandis que le jeune docteur parlait ainsi, Mme de Carzet, les yeux attachés sur lui, l’écoutait avec l’expression d’un naïf et pur enthousiasme.

— Cher monsieur, dit le baron, tout ce que vous me dites est juste et vrai, mais cette œuvre immense est toute à créer ; pour réformer et agrandir l’instruction publique toute entière, que peuvent des efforts individuels ?

— Il faut cependant qu’ils puissent tout, car l’État, quoi qu’il semble, ne