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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/61

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gens. Mais le baron et sa fille se moqueront de lui. Je connais les nobles. Attendez et nous verrons.

Peu de jours après, Mme de Carzet commença son enseignement en réunissant le soir, de huit à dix heures, les trois ou quatre familles les plus proches. Elle fit les premiers soirs une lecture attrayante, qu’elle accompagna d’explications. C’était un abrégé de Robinson Crusoé. Si vieux qu’il fût, le livre se trouva nouveau et passionna l’auditoire.

Et puis, l’aimable lectrice donna tant de détails à ce propos sur l’Angleterre, dont elle montrait la carte étalée sur le mur ; elle dit tant de bonnes choses sur la vocation des enfants, qu’il faut éprouver, mais satisfaire ; elle fit à ce propos tant de jolies digressions, que son public sortit fort éveillé, très-bavard, et souhaitant la soirée suivante. À cette seconde soirée, il vint de nouveaux auditeurs, la permission étant donnée d’avance. Bientôt, on afflua. Dans son désir d’être utile, Mme de Carzet avait trouvé l’accent qui convenait à ces esprits simples, un peu faussés déjà cependant par le voisinage d’une grande ville et le va-et-vient des étrangers, influences sous lesquelles se développent invariablement le goût de luxe, les prétentions personnelles, et l’avidité. C’est par là seulement que la civilisation se présente d’abord aux ignorants et aux pauvres. Cette fois, on la leur présentait par le côté vraiment grand et supérieur. Elle les toucha davantage.

En quelque condition qu’il soit, l’esprit humain ne reste point stagnant sans souffrir. Ces esprits rustiques, alanguis par leur inactivité, mais heureux d’en secouer la torpeur, s’éveillaient, devant les horizons nouveaux qui leur