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Page:Leo - Attendre - Esperer.djvu/83

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Comment pourrait-il même en sortir ? À l’idée de la quitter, toute sa volonté se révoltait ; il eût préféré mourir. Plus il se cherchait lui-même en faisant appel à son courage, à sa fierté, plus il se sentait possédé par elle. Il ne s’appartenait plus et ressentait les sensations d’un homme qui se voit, à son réveil, entouré de liens.

Émile passa trois jours à se dire qu’il ne devait plus retourner à la Ravine ; mais au bout de ce temps il en reprit le chemin. L’accueil du baron fut aussi affectueux qu’à l’ordinaire ; mais Mme de Carzet rougit à sa vue et se montra manifestement plus froide. Le pauvre Émile fut aussi lâche que tout autre amant : il se fit humble, petit, inaperçu, muet. Comment se défier de si peu de prétentions ? La jeune veuve redevint plus libre et plus gaie. Mais à mesure, la colère grondait au cœur du jeune homme, car il y avait là une contradiction monstrueuse, épouvantable : cette femme ne consentait à être adorable et bonne qu’à condition de ne pas être adorée. Une telle conduite n’était-elle pas la condamnation des désirs d’Émile ? Quelle autre réponse pouvait-il attendre, puisqu’on s’effrayait de son amour ?

Au bout de quelque temps la scène du perron parut oubliée et la confiance rétablie entre eux. Quelquefois, lorsque Mme de Carzet avait ou croyait avoir besoin d’explication, ils préparaient ensemble la lecture du soir. Elle avait une manière de comprendre qui vivifiait tout et ravissait Émile. Elle était de ces commentateurs dont la riche imagination prête mille inten-