Page:Leo - Grazia.djvu/292

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ceux qu’ils aiment, tu peux m’appeler, ton épouse fidèle te suivra.

Sa voix expira dans un sanglot, et elle s’affaissa, le front sur le cercueil. De toutes parts, les gémissements recommencèrent ; puis la voix de l’Effisia, vibrante comme un clairon qui appelle aux armes, s’éleva sur toutes ces rumeurs, qui s’arrêtèrent aussitôt. La petite vieille, l’habitante du coin de la grande salle des Ribas, où elle chantait sur le ton du rêve les chants de sa jeunesse, tout en filant sa quenouille de laine, ce membre silencieux et passif, en apparence, de la famille où elle semblait n’être qu’un débris du passé, la vieille Effisia venait de se transformer tout à coup : sa taille s’était redressée, ses yeux s’étaient ranimés comme une braise presque éteinte, sous un courant d’air qui en écarte la cendre ; sa voix avait pris des sons métalliques ; elle revivait avec la tradition de sa race, revenue au jour dans ce meurtre, dans cet attito [1] funèbre.

— Pleurons ! gémissons ! dit-elle, mais surtout parlons de le venger ! Quand un homme termine paisiblement sa carrière, ou quand il succombe à la maladie, fléau de Dieu, il n’y a qu’à l’entourer de larmes et de prières. Mais autres soins féclame un homme assassiné. Regardez-le ! Celui qui ne peut plus parler ! Est-il de plus éloquentes paroles que celles que profère ce visage terrible ?… Qu’a-t-il désiré, de toute la rage de son âme, en tombant sous la balle du lâche assassin ? Regardez ! regardez !… Et que tout homme, qui a dans sa poitrine un cœur d’homme, ré- ponde !…

— La vengeance !…

Vingt poitrines à la fois avaient jeté ce mot, dont l’accent sourd et brûlant fit passer un frisson dans mes veines.

— Oui, reprit l’Effisia d’une voix éclatante, la vengeance !… Elle seule peut consoler la victime dans sa tombe. S’il avait pu soulever

  1. Deuil, plainte funéraire.