Page:Leo - Grazia.djvu/39

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la retira bien vite, et je vis de Ribas se lever, plein d’émotion. Il prononça quelques mots, d’une intonation colère, et Grazia me dit en rougissant :

— Signor, ce n’est pas l’usage chez nous qu’un homme touche la main d’une femme, à moins d’être son fiancé.

— Faites mes excuses à votre père, lui dis-je, car j’ignorais cela ; mais dites-lui bien en même temps que c’est parce que nous traitons les femmes en égales que nous leur donnons ainsi la main. C’est de la fraternité.

Elle dut rendre ma pensée exactement ; de Ribas, d’ailleurs, m’avait entendu et je le vis très-surpris. Il haussa les épaules en me regardant, afin d’exprimer sa pensée dans une langue commune à tous les pays, puis il me tendit la main et nous quitta. À partir de ce moment, il prit au sujet de ma politesse pour les femmes l’air d’indulgence et de supériorité que nous aurions vis-à-vis des mœurs patagoniennes, et j’eus la mortification de voir que mon exagération des vertus françaises avait considérablement nui à la France dans son esprit.

Le surlendemain de notre chasse, au point du jour, un concert bizarre me réveilla. C’était un chant sur des paroles sardes, chanté à l’unisson, par deux ou trois voix d’hommes, et accompagné d’un chœur de sons gutturaux faisant la basse avec des modulations diverses. Peut-être n’était-ce pas très-harmonieux ; mais cela était plein d’une saveur sauvage et j’écoutais en rêvant, quand on frappa.

C’était mon hôte, suivi d’Effisio.

— Pardon de vous réveiller, me dit celui-ci ; mais nous sommes au 1er mai, le mois des fleurs ; on le fête ici, et j’ai pensé que vous seriez content de voir cela, que peut-être vous n’avez jamais vu ailleurs.

Je m’empressai de m’habiller et suivis Effisio à la porte de la maison, où je vis les chanteurs. Ils étaient de ceux avec lesquels nous avions chassé, et parmi eux je reconnus