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Page:Leo - Grazia.djvu/417

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Effisedda jeta de nouveau la tête sur mon épaule :

— C’est bien vrai que cela te fait plaisir que je sois venue ici ?

Tout ceci n’était point provocation, mais entrainement naturel, mêlé de chaste ignorance. Toutes ces familiarités étaient de l’enfance encore ; seulement, il y avait aussi de la puberté, un naissant amour. C’était bien l’enfant qui agissait ; mais poussée par la jeune fille, inconsciente encore du danger et toute à l’aspiration de sa destinée. Mon devoir était de ne point abuser de ces libertés, sans froisser pour cela son innocence par un avertissement brutal. Changeant brusquement le sujet de la conversation, je la portai sur la poésie, dont elle-même venait de parler.

— Tu aimes donc la poésie, petite Effisedda ?

— Oh ! passionnément, me dit-elle.

— Et que lis-tu en fait de poètes ?

— Le Dante.

En effet, le Dante est la Bible des Italiens. Il ne faudrait pas croire cependant que toutes les paysannes lisent le Dante, en Italie. Peut-être les misérables travailleurs de la Lombardie, de la Vénétie, du Piémont et même ceux de la Toscane, n’en connaissent-ils que le nom, grâce au nombre incalculable de places, de rues, de cafés, mis sous l’invocation du Gibelin, même dans les plus pauvres bourgades ; mais les populations du midi, en Sardaigne surtout, doivent à leur oisiveté relative, à leur naturel aussi, quelques con- naissances littéraires. Le dialecte sarde a des volumes de poésies et de chansons.

Effisedda, bien qu’elle fût de famille noble, n’avait point reçu une éducation supérieure à celle des autres filles du village. Cependant, elle avait lu, et relu, le Dante, le Tasse, Pétrarque, les Fiancés de Manzoni, et elle me fit dans cette conversation les réponses textuelles que je vais reproduire. Comme je m’étonnais qu’elle aimât le Dante, ce poëte sombre et cruel, qui a voué ses ennemis à d’affreux supplices, elle me répondit :