Page:Leo - Grazia.djvu/56

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Ce n’est pas que ce pays de montagnes méridionales ait rien de la grâce de nos paysages, pétris d’eau en même temps que de soleil. Le sol y est dur, nu par grandes places, semé de moins d’arbres que de rochers ; les lignes y sont arrêtées, les couleurs sèches : le fauve y abonde plus que le vert ; il y a plus de lumière vive que de bleus lointains ; mais chaque nature a sa beauté ; celle-ci me charmait à son tour.

Au premier plan, j’avais la route, à l’entrée du village, côte assez rapide entre quelques maisons et quelques figuiers, où sans cesse apparaissaient tantôt des cavaliers lancés à toute bride, tantôt des chars à bœufs chargés de liége, ou des filles revenant de la fontaine la cruche sar la tête.

Plus près… mais ici le tableau devient moins poétique…

À côté de la maison d’Effisio, de l’autre côté de la rue, sous ma fenêtre, était une petite maison sans étage, occupée par une famille de dix personnes, aïeuls, père, mère et enfants. L’homme, Cabizudu, petite taille, barbe noire, bonnet noir enfoncé jusqu’aux yeux, figure plus rusée qu’intelligente, était occupé toute l’année chez Effisio ; c’est lui qui soignait les chevaux, faisait les commissions, cultivait le jardin. Sa femme aidait la vieille Angela à laver le linge. L’aïeul, vieux et cassé ; la grand’mère, plus vieille encore, — 97 ans — filait continuellement sa quenouille ; parmi les enfants, un garçon de 20 ans, une fille de 18, jolie, puis quatre autres en gamme descendante, jusqu’au dernier qui marchait à quatre pattes, au milieu des poules et des chats. C’était tout un tableau de mœurs sardes, que les Cabizudu exposaient avec la plus grande ingénuité. D’abord, si j’étais matinal, c’étaient les vases que je voyais vider à la porte, ou d’autres évacuations plus directes, effectuées sans vergogne tout proche de la maison. Puis les grands partaient ; les petits restaient avec les vieux, et alors le grand-père cessait de ne rien faire pour se livrer à l’examen