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Page:Leo - Grazia.djvu/98

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rappera peut-être, je ne veux pas qu’elle souffre pour moi !

— La frapper ! disais-je.

Et la rudesse de ces mœurs m’épouvantait. Je dus feindre, pour apaiser Effisio, d’aller remplir sa commission ; mais il ne me fallut pas beaucoup réfléchir pour comprendre que ma vue et mon message ne feraient qu’irriter davantage ce père brutal. À mon avis, tout était perdu, à moins que Grazia ne refusât obstinément d’épouser Antioco. Mais, à quoi s’exposait la malheureuse enfant par cette résistance ?

Je fis tout cependant pour conserver un peu d’espoir au malade, que la fièvre dévorait et qui s’épuisait en gémissements et en remords. Après tout, puisque de longues fiançailles devaient précéder le mariage, tout n’était pas désespéré ; tant que Grazia ne serait pas mariée, l’espérance était possible. Ces consolations étaient faibles, je l’avoue ; aussi n’avaient-elles que peu d’empire et n’interrompaient-elles guère les plaintes d’Effisio. Rarement, l’Italien contient sa douleur non plus que sa joie ; c’est un torrent qui s’épanche. Peu habitué à de si vives démonstrations, j’espérais qu’elles affaibliraient la douleur. Je me trompais.

Il était minuit ; je veillais près d’Effisio, qui, vaincu par la fatigue, sommeillait, gonflé de soupirs et agité de soubresauts nerveux, quand, par la fenêtre que j’avais laissée entr’ouverte, une poignée de sable tomba dans la chambre. J’allai voir aussitôt et, distinguant une forme de femme dans l’angle du mur en face, je courus ouvrir.

C’était bien Elle ! pieds nus, vêtue seulement d’un jupon sombre et de son corset, la tête cachée sous un petit châle de laine brune et tout entière enveloppée dans les plis d’une grande jupe d’étoffe brune, que les femmes de Nuoro relèvent d’une façon pittoresque à la manière d’un manteau ; son visage, presque aussi blanc que sa gorgerette, avait une expression qui me frappa ; on eût dit une inspirée marchant à la mort.