Page:Leo - L Ideal au village.pdf/182

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pire d’une sorte de possession ; il n’était plus seul en lui-même, elle était en lui, devant lui, toujours, tantôt passant le sourire aux lèvres, et tantôt le fixant d’un regard si doux, qu’il se sentait guéri de toutes ses douleurs passées.

Il voyait encore à travers la mousseline, presque aussi blanc, ce bras rond qu’elle avait tendu vers lui, et sa petite main qu’elle avait posée sur son bras ; un moment, l’illusion fut telle qu’il faillit s’agenouiller pour les effleurer de son front ou de ses lèvres, car il éprouvait pour elle un besoin d’adoration !!!

Mais il était seul dans sa chambre, pénétrée des humides vapeurs de la prairie, dans cette chambre triste et froide, ombragée par le vieux saule, et où depuis vingt ans il avait tant souffert ! où il n’avait, comme à l’ordinaire, pour compagnon silencieux, que ce pauvre chien éveillé par ses soupirs, et qui le contemplait d’un œil humide et tendre.

En parcourant du regard les murs gris, la vieille armoire en bois peint, la commode Louis XV aux poignées de cuivre disloquées, la table tachée d’encre, sur laquelle par moments, dans la fièvre, il écrivait les pensées qui l’étouffaient, le lit aux rideaux de damas en loques, vieux reste de splendeurs éteintes, il eut un serrement de cœur affreux.

« Toute ma jeunesse passée ici, se dit-il, à pleurer et à souffrir ! Qu’ai-je fait ? Oui, les belles années, celles que les autres hommes passent à aimer, à être aimés, je les ai, moi, passées ici, tout seul, à pleurer, à gémir, à maudire la vie. Tant de larmes n’ont