Page:Leo - L Ideal au village.pdf/206

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déshérités de l’intelligence et du cœur ; ils sont à plaindre, et leur en vouloir de leur misère, c’est reprocher à un pauvre sa pauvreté. »

Sans répondre, Louis attacha sur elle un regard qui embarrassa la jeune fille. Elle ne retrouvait plus dans cet homme encore jeune et qui se présentait, sinon avec élégance, du moins avec noblesse, le pauvre paria qu’elle s’était plu à prendre sous sa protection. Se tournant vers le piano, elle jeta quelques accords.

« Chante-nous quelque chose, » demanda Lucien.

Cécile chanta une simple et jolie romance, le Refrain du ruisseau d’une voix souple, expressive et pure. En achevant, ses yeux tombèrent sur Louis, qui la contemplait, et dont le visage exprimait une adoration si enthousiaste qu’elle en fut troublée. Elle joua ensuite un morceau, mais distraitement ; puis elle quitta le piano, et l’on se prit à causer sur différents sujets.

En tout ce qui ne concernait pas les rapports sociaux, ou le sentiment, Louis parlait peu. Il écoutait, questionnait quelquefois, et ses questions montraient une grande ignorance des usages du monde et des transactions actuelles. En revanche, toute la bibliothèque laissée par son aïeul, et contenant les seizième, dix-septième et dix-huitième siècles, était logée dans sa tête. Il avait surtout lu Rousseau, Condorcet, Turgot, et la déclamation de cette époque se reproduisait souvent dans son langage. À cela il joignait une connaissance approfondie des travaux des assemblées révolutionnaires, ayant chez lui toute la collection du Moniteur, conservée par