Page:Leo - L Institutrice.djvu/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Feuilleton de la République française
du 18 janvier 1872

(20)

LES FILLES PAUVRES

L’INSTITUTRICE[1]


Sidonie retrouva bien dans sa mémoire les messagers célestes, les songes, le buisson ardent ; mais, en face de ces yeux bleus naïfs qui attendaient ; au moment de graver sur cette imagination pure et fraiche les fantasmagories lugubres et folles des premiers âges humains, elle frémit comme d’un sacrilége et se tut.

Cependant le livre était là, inexorable, et derrière les parents, l’Église et la société, armées comme l’ange exterminateur d’une épée de feu.

À contre-cœur, Sidonie raconta la légende édénique, formule parfaite du dogme autoritaire, et modèle de toute la pédagogie future.

— Pour une pomme ! dit Rachel, pour une pomme ! Et pourquoi ça ne voulait-il pas ? Les pommes, c’est fait pour être mangées.

En arrondissant les yeux, elle ajouta :

— C’est mal de manger des pommes, dis ? Si j’en mangeais une, que tu m’aurais défendue, est-ce que tu me mettrais dehors, toi ?

Sidonie la serra passionnément contre sa poitrine.

  1. Voir la République française depuis le 26 décembre 1871.