Page:Leo - L Institutrice.djvu/208

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après vingt ans d’exercice de sa profession, le lot ordinaire d’une débutante. Elle n’y pouvait compter que sur le minimum du traitement. Toutes ses relations, toutes ses amitiés se trouvaient brisées. C’était, à quarante ans, toute cette ingrate carrière à recommencer ; mais avec la jeunesse en moins, et, cette fois, sans aucune des illusions nécessaires à de pareilles destinées.

À vingt lieues de là ! Ordre de courir donné au paralytique ! Où donc la maigre bourse de l’institutrice puiserait-elle l’argent qu’il fallait pour mettre en route, durant deux longues journées, la vaste charrette de déménagement, les deux chevaux percherons, et le conducteur picard, si rapace et si habile à multiplier les petites dépenses, autour d’un prix convenu ? Sidonie se disait avec un sourire amer : — Quand le czar envoie en Sibérie, c’est lui du moins qui fournit la voiture au prisonnier.

Mais tout cela n’était rien encore. Les rigueurs de la vie lui étaient si familières ! Elle avait si souvent connu la faim, le froid, la misère sous toutes ses formes ! Tant d’humiliations, d’insultes, de duretés l’avaient frappée ! Tant de déceptions ! Toutes ces choses n’avaient rien qui la surprit. Elle était comme un de ces pauvres arbustes des haies, sans cesse émondé par le ciseau, qui voit toutes ses pousses enlevées et tous ses boutons joncher la terre avant d’être éclos ; mais qui pourtant vit, triste et noueux, concentrant au cœur sa sève, jusqu’au jour où la hache vient le frapper au cœur même. Tous ces grands espoirs, qui sont le fond de la vie aimante et intelligente, s’étaient successivement flétris pour elle, mais sans mourir ; et transformés, désinté-