Page:Leo - L Institutrice.djvu/21

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longtemps de cela, car M. Urchin avait bien la quarantaine, quoiqu’on persistât à Boisvalliers à le traiter de jeune homme parce qu’il était garçon. C’était un grand, brun, maigre individu, sans physionomie, et, disait-on, sans caractère, parce qu’il vivait auprès de sa mère dans une soumission à peu près complète. Il faut savoir que le vieux M. Urchin avait laissé à sa femme tout l’usufruit de ses biens, qui, d’ailleurs, en grande partie, venaient d’elle ; et depuis cette époque, Mme Urchin avait rappelé son fils près d’elle pour l’aider à administrer ses domaines, c’est-à-dire qu’elle en avait fait son intendant… sans appointements. Mme Urchin, petite vieille avare, despote et dévote, écoutait, d’un air dédaigneux et revêche, ces souvenirs du quartier Latin, où son fils se complaisait ; elle y coupa court en parlant de son jeune temps, où tout le monde était sage, raisonnable, austère, où tout se passait admirablement ; puis elle se jeta sur le prix des blés. Mme Favrart, après quelques instants de déférence pour la vieille dame, trouva moyen, en lui répondant, d’évoquer la vie de garnison, qu’elle semblait regretter amèrement, tandis que M. Favrart, qu’aucun de ces sujets ne semblait intéresser, gardait un silence presque absolu. Un moment, Sidonie rencontra l’œil gris-bleu du capitaine fixé sur elle, regard froid et doux à la fois, plutôt rêveur qu’observateur, mais chaste ; elle sentit cela sans l’analyser. C’est par ces signes muets et ces aperceptions demi-inconscientes, bien plus que par les paroles, que se forme cette opinion secrète à laquelle nous donnons le nom de sympathie ou d’antipathie. Ce fut la seule