Page:Leo - L Institutrice.djvu/72

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plus guère chez les Favrart. Il la saluait simplement, en passant près d’elle. Avait-il donc oublié ?… Oh ! elle ne pouvait le croire. Elle ne le voulait pas surtout ; c’était impossible : un acte si grave pour sa dignité, sa pudeur à elle, une émotion pour elle si profonde, aurait pu n’être pour lui qu’un incident passager ? Rien que cette pensée la faisait rougir jusqu’au fond de l’âme. Mais elle n’y croyait pas. Elle repoussait avec indignation, avec horreur, une telle supposition. À vingt ans, quand le sentiment et l’évidence ne s’accordent pas, c’est l’évidence qui a tort. Non, il y avait là un mystère, et ce mystère ne pouvait être que de l’amour. Sans doute, les parents d’Ernest s’opposaient à ce qu’il épousât une fille pauvre, et lui, souffrant de cet obstacle, se taisait… jusqu’au jour où il serait enfin parvenu à l’écarter. C’était loyal, noble, héroïque… elle eût préféré pourtant… N’aurait-elle pas dû avoir sa part de ces combats, de ces espérances, de ce tourment après tout si plein de douceur, enfin de cette vie du sentiment qu’elle n’avait pas encore abordée. Le cœur lui battait d’une ivresse charmante. Elle sentait bien que c’était pour cela qu’elle était née, que toute sa vie antérieure n’avait été qu’une préparation à ce but ; dès qu’elle était seule, sa tête se penchait sous le poids de ces douces pensées ; elle errait émue, tremblante, autour de l’Éden entrevu.

ANDRE LÉO

(À suivre)