deux êtres qu’unit l’amour, je vis très-clairement que j’aurais beau réussir à leur faire avouer leur inconséquence, je n’en serais pas moins abaissé à leurs yeux. Peu importe que ce soit juste, si c’est ridicule.
Maintenant, qui a révélé cela ? Je n’ai pu le savoir de M. Plichon ; mais ce doit être, ce ne peut être que Forgeot. Ce monsieur a sans doute pour ami quelque mouchard, qu’il aura mis à ma piste. Le rusé ! ce n’est pas lui qui m’accusera d’avoir fait des folies illustres, enlevé des actrices, par exemple, ou d’avoir dépensé les aspirations de ma jeunesse en paris de chevaux ou dans l’orgie. Non, il s’y entend mieux. Il révélera mes croyances et mes illusions, et je serai jugé comme un homme de peu, qui n’est supérieur à rien !… je te dis que je m’en irais de ce monde, si je savais où aller.
Ces niaiseries sont de toutes les classes. N’entendais-je pas parler hier de maître Fumeron, le père de Justin, qui refuse de consentir au mariage de son fils avec Mignonne, parce que le père de celle-ci est un homme ruiné, tandis que lui, maître Fumeron, est un enrichi. Après tout, ça se conçoit mieux : entre un prodigue et un avare, entre l’esprit de l’homme qui sait se ruiner et l’esprit de l’homme qui sait s’enrichir, il y a véritablement un abîme, et cette alliance risquerait de gâter la dynastie et d’enfoncer l’étoile ascendante des Fumeron.
L’homme ruiné est décidément partout un paria. Le régime des castes est en pleine vigueur dans nos provinces, et moi qui n’ai jamais compris Manou, me voilà obligé de le reconnaître humain.