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Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/259

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pour traiter des pauvres en frères ; car, vis-à-vis de gens comme il faut, vous auriez trouvé la chose simplement polie. Mais, heureusement, nous laissons de plus en plus derrière nous le temps où l’humanité des riches envers les pauvres était célébrée comme un acte sublime de condescendance, et fournissait le sujet de tableaux touchants, dans lesquels le souverain ou le gentilhomme, la bouche en cœur, et pénétré de sa propre sublimité, posait d’un air complaisant vis-à-vis du manant à genoux. Maintenant nous devons savoir qu’en obligeant notre semblable, nous ne faisons que remplir le devoir le plus simple, le plus impérieux, le plus utile à nous-mêmes.

En achevant ces mots, mon regard rencontra celui d’Édith ; elle baissa les yeux. Elle était pâle, immobile comme à l’ordinaire, et cependant je vis qu’elle était émue, car je commence à lire sur ses traits, malgré le masque dont elle les recouvre. Après le déjeuner, je ne sais encore, je ne puis me rappeler quel mouvement irréfléchi m’entraîna sur ses pas, comme elle quittait la salle et remontait à sa chambre. Je n’avais point d’intention précise, et cependant je montai. L’escalier de pierre est à deux volées. Ces marches bénies, la fenêtre en haut qui les éclaire, forment à présent l’image la plus vivement empreinte que j’ai dans l’âme. J’abordais la seconde volée ; Édith l’achevait ; elle entendit le bruit de mes pas et se retourna… Oh ! je ne vis jamais figure si radieuse et si éclatante, quand elle descendit les marches jusqu’à moi. Elle me jeta les bras autour du cou, serra fortement ma tête sur son sein, voulut parler ; mais elle éclata en sanglots et je sentis mon front baigné de ses larmes.