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Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/309

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ceux-ci même que raillerie insultante, jalousie du passé. En outre, il resta fier. Il demanda du travail ; mais comme il avait été maître, on se défia de sa force et de son obéissance, en tant que manœuvre, et aucun propriétaire ne se soucia de l’employer. Il a vendu successivement toutes ses terres ; mais il s’est obstiné à garder sa maison de ferme, située près du hameau du Fougeré. Sa femme y est morte ; il veut, dit-il, y mourir aussi. Le travail de sa fille ne pouvant suffire à les nourrir l’un et l’autre, le besoin et l’oisiveté l’ont jeté dans le braconnage. Il jouit cependant de la réputation d’un très-honnête homme, et au temps de sa fortune il était généreux.

Au moment où Leyrot m’aborda, je songeais précisément à la famine qui désole le pays, et à l’immense quantité de grains qu’eût fournie cette lande inculte ; je voyais, comme en un mirage, la lande défrichée, une grande ferme bâtie, à peu près au milieu, des bœufs, des charrues, d’abondants pacages, un peuple de travailleurs. Sous l’influence de ce rêve, le poids écrasant qui m’accable était soulevé ; j’étais presque heureux.

Je communiquai ces idées à Leyrot et il me dit que c’avait été son rêve de défricher tout ce grand espace, que ça l’aurait rendu riche et capable d’aider bien du monde aussi.

— Mais ce n’est pas tout ça, me dit-il tout à coup en s’interrompant, est-ce que mamzelle Édith est à la maison ?

— Elle doit être dans sa chambre, répondis-je.

— Nous ferions bien. Monsieur, reprit Leyrot, d’aller au Fougeré voir ce qui s’y passe.

— Pourquoi cela ? demandai-je.