Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/314

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le blé, songez que dès demain les gendarmes seraient chez vous, et que vous seriez emmenés en prison, condamnés aux fers pour toute votre vie. La loi est terrible contre des actions pareilles à celle que vous faites. Retirez-vous donc promptement, je tâcherai d’obtenir de mon père qu’il donne le blé, ou vous le vende à crédit. Mais au nom de votre vie et de votre liberté, retirez-vous. En ce moment, vous semblez les plus forts ; demain, mes pauvres amis, la société tout entière serait contre vous, et elle vous écraserait.

Un grand nombre d’entre eux se regardèrent et j’entendis qu’ils disaient :

— La demoiselle a raison.

— Mais un homme aux joues creuses, au corps décharné, vrai martyr de la misère, s’écria :

— Qu’est-ce que ça nous fait ? mourir pour mourir ! Ceux qui auront le cou coupé ne souffriront plus ; ceux qui seront en prison mangeront du pain.

— Oui ! oui ! crièrent-ils, c’est vrai, mourir pour mourir ! Et ce furent de toutes parts des clameurs, des plaintes. Une femme montrait son sein, où la peau se collait aux os. Une autre criait :

— Avoir du blé tant que ça chez soi, et laisser crever les gens comme des chiens, faut n’avoir pas de cœur !

Ce fut le signal de cris et de vociférations, où les menaces les plus terribles furent prononcées contre le père d’Édith. Celle-ci descendit rapidement et je la suivis. Elle courut à son père, lui prit les mains et le conjura de donner satisfaction à ces hommes, qui réclamaient un droit plus grand, plus sacré que celui de la possession de quel-