plateau inculte qui s’étend de l’autre côté du Malignon. C’est immense et sauvage. Partout, au premier plan, et comme fond, la brande, sorte de haute bruyère à fleurs d’or bruni, dont le vert vif tranche avec le feuillage plus sombre des chênes qui la parsèment ; puis çà et là des bouquets d’arbres, une ferme isolée, des bois, des plans rougeâtres ou jaunes qui sont des champs, plus loin encore des lignes de plus en plus bleuâtres qui vont mourir en vapeurs au bord du ciel.
Le matin et le soir, cette lande est animée par des troupeaux ; on entend les cris des bergers. Quelquefois, quand le vent porte de ce côté, je saisis même leurs paroles. Et tout à l’heure, dans un de ces chemins tortus et raboteux où l’essieu gémit, où le charretier pressait ses bœufs de la voix et de l’aiguillon, les sons, affaiblis par l’éloignement, venaient à moi, pleins d’une sonorité particulière…
Tiens, en ce moment même, un grand coup de soleil qui tombe au milieu de cette étendue fait saillir des détails qu’on ne soupçonnait pas, rend les lignes plus tranchées et fait ressortir les ombres si vivement, que de bleues qu’elles étaient les voilà presque noires. Bientôt, un coup de vent, balayant les nuages, va produire d’autres effets. C’est inimaginable. Je reste quelquefois longtemps accoudé devant ce spectacle, et l’œil charmé de ces beautés, le cœur plein d’amour, je rêve avec délices et je bénis la vie. Oh ! mon ami, la vie est grande et belle ; elle est divine quand nous sommes bons et intelligents. Il y a des situations de l’âme qui obscurcissent tout ; d’autres qui tout illuminent : sommes-nous les jouets de