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Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/93

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les yeux fixés sur la fenêtre d’une tourelle garnie de clématites, d’où bientôt descendent sur moi les rayons de deux grands yeux, brillants quoique à peine ouverts ; parfois je saisis quelque détail charmant de toilette incomplète ; enfin, elle s’accoude sur la fenêtre et me jette un bonjour frais et mélodieux comme la voix des oiseaux qui chantent autour de nous. Quand elle descend, je vais à sa rencontre et, soit au tournant du grand escalier de pierre, soit dans le corridor désert, j’obtiens un bonjour plus tendre et plus furtif. Comme elle rougit, mon Dieu ! C’est à l’adorer comme un être divin, et bien souvent je me laisse aller à deux genoux, la contemplant, jusqu’à ce qu’elle se fâche, craignant qu’on ne nous surprenne.

Après le déjeuner, il fait trop chaud pour sortir. Ces dames vont s’établir dans le salon, où elles passent la journée entière, les doigts occupés de travaux d’aiguille. Je les suis. Nous sommes là dans un demi-jour ; la conversation se traine un peu, car la chaleur nous allanguit ; je suis en face de Blanche, ou tout près d’elle, et, tandis qu’elle semble attentive à sa broderie, ses regards, à demi voilés sous ses longs cils bruns, se glissent dans les miens… Des sensations trop vives parfois m’oppressent, et, ne pouvant ni lui dire ce que je sens, ni tomber à ses genoux, je me lève et marche par la chambre. Au plus fort de la chaleur, maman Plichon ferme les yeux et sommeille quelques instants ; Clotilde alors nous surveille malicieusement, ou plus malicieusement encore s’en va, et nous laisse seuls, livrés à notre sagesse, ou à la peur de réveiller maman. Hier