Page:Leo - Les Deux Filles de monsieur Plichon.djvu/95

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semble craindre que je m’ennuie, je ne la comprends guère. Qu’ai-je besoin de m’amuser quand je suis heureux ? Je retrouve avec délices les joies contemplatives de ma première enfance, augmentées par le développement de la connaissance en moi. Je me retrouve moi-même, comme un ancien compagnon égaré, ou depuis des années rarement entrevu. Je bénis et savoure cet amour, que le sentiment de sa durée revêt pour moi d’un caractère religieux. Et faisant un retour sur ma vie passée, j’éprouve la sensation d’un homme qui vient d’être battu des flots, au moment où il met le pied sur le rivage. Plaise à Dieu que ce calme et cette confiance soient éternels !

Mais tant que je sentirai à moi cette âme fraîche et naïve, tant qu’elle m’aimera, je serai fort et croyant. Et pourquoi changerait-elle ? Elle m’aime, tout en elle est révélation de cette vérité sublime, ses traits, sa pose, ses regards, cet empressement timide qui la trahit à chaque instant, cette attitude constante de tout son être, penché vers l’amour comme la fleur vers la lumière. Je ne puis exprimer combien cela me touche et me pénètre. Oh ! comment peut-elle craindre que je m’ennuie ? D’un seul de ces indices, je vivrais tout un jour, et j’en perçois mille. Je vois cette âme charmante se développer, étonnée d’elle-même, sous l’influence de l’amour. Ses timidités, ses audaces me ravissent également, et m’inspirent un égal respect. Hier, de tout le jour, je n’ai pu qu’effleurer ses cheveux. Qu’importe ? j’ai senti sur mes lèvres, tout le jour, leur frémissement et leur parfum.

Et quand je ne pourrais ni la toucher ni lui parler