Page:Leo - Marianne.djvu/162

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Vous ne m’aimez plus ? C’est assez. N’exigez pas que je me soucie d’autre chose.

— Cependant, reprit-elle, si ce n’est pour vous, je le répète, que ce soit pour votre mère, que l’idée d’une scène entre vous et votre père a bouleversée ; pour votre sœur pour moi-même, qui souffrirais…

— Pour vous ! s’écria-t-il avec éclat. Vous venez de me briser le cœur, de me faire la plus sanglante injure !… et vous me demandez… Eh bien, oui ! demandez-moi, demandez-moi beaucoup, Marianne ! Que je puisse encore me dévouer à vous ! Mais — sa voix prit un accent de colère — ne me demandez pas de me laisser jeter par vous une aumône. Ayez, ne fût-ce que pour vous-même, plus de vergogne et ne traitez pas comme le dernier des misérables celui que vous avez aimé.

La jeune fille attachait les yeux sur lui et les détournait tour à tour.

— Si ma sollicitude vous blesse, dit-elle, je ne puis vous l’imposer, Mais… votre délicatesse me paraît s’attacher à un point… trop secondaire ; tandis que…

— Ainsi, s’écria-t-il avec reproche, une dénonciation infâme, une feuille de papier remise par un inconnu, ont suffi à effacer dans votre âme plus de deux années d’amour, de serments, un engagement sacré !… Ah ! je croyais votre attachement plus solide, Marianne. À présent, je vois que vous ne m’avez jamais aimé !

Il jeta sa tête dans ses mains.

La jeune fille le regarda avec un étonnement plein d’angoisse.

— Voulez-vous dire que ce mémoire serait demanda t-elle.

— Et que puis je vous dire quand vous doutez de moi, de ma parole, de mon honneur ?…

Il y eut entre eux un silence, au bout du quel Marianne :

— Parlez, je vous prie ; s’il vous est possible de justifier…

— À quoi bon ? Si vous avez pu douter de moi sur une preuve aussi légère, c’est que Vous ne m’aimiez plus.

Elle tourna vers lui son visage pâle :

— Je n’ai jamais répondit elle, éprouvé une si grande douleur depuis la mort de mon père… Encore celle-ci a-t-elle des aiguillons d’amertume que l’autre n’avait pas. Oh ! reprit-elle avec un redoublement de larmes, la trahison en amour… il n’est rien de plus épouvantable ! Oui, mieux vaut la mort, et même la mort de ceux qu’on aime, que cet horrible breuvage où tous les poisons sont exprimés. Albert ! oh ! s’il est possible, montrez moi que cela n’est pas vrai !… Alors c’est moi qui vous demanderai pardon et tacherai d’expier. Mais vous n’avez rien dit tout d’abord et puis comment cet homme ?…

— Cet homme ! s’écria-t-il, n’est sans doute qu’un instrument ; mais assurément quelqu’un veut me perdre auprès de vous… oui, cela doit être… Il n’avait nul besoin de vous remettre ce mémoire, il suffisait de vous montrer le billet total souscrit par moi. Il y a dans tout cela une trame… je le sens.

Il pensa rapidement à Fauvette, mais il n’avait pas le temps de chercher et reprit :

— Eh bien cette pièce est vraie, seulement ce n’est pas moi…

Il s’interrompit :

— Mais vous ne me croyez plus ?

— Parlez ! je vous en supplie, dit-elle.

— Que je parle ! que je vous dise avoir pris à ma charge les folies d’un autre, d’un camarade, coupable sans doute, mais désespéré ! Quoi ! mais ceci n’est qu’une simple affirmation, et, encore une fois, vous ne croyez plus à ma parole.

Le visage si pale de Marianne devint plus pâle encore, ses lèvres s’entr’ouvrirent frémissantes, ses regards prirent une fixité solennelle ; évidemment, suspendue entre le doute et la foi, elle était à l’un de ces instants où le moindre mouvement va décider du sort de la vie, où l’être humain, semblable à un voyageur perdu, prend à droite ou à gauche, presque au hasard, entre deux chemins, Celui qu’elle avait aimé, en qui elle avait eu assez de confiance pour lui engager sa vie, était là devant elle, avec tous les souvenirs de deux ans d’amour et de confiance, et de l’autre un simple fait apporté par un inconnu, fait qui pouvait effectivement se rattacher à un autre qu’Albert. L’apparence était contre lui, mais sa parole était pour lui, et elle ne pouvait rejeter cette parole sans fouler aux pieds ses propres sentiments, ses croyances les plus chères, les habitudes de son cœur. Pourtant un autre souvenir se mêlait à ceux-là qui la retenait indécise : c’était le souvenir des doutes et des inquiétudes qui d’eux-mêmes, depuis plus d’une année, étaient nés dans son cœur sous l’empire d’une déception secrète et constante. Aussi, bien qu’elle souffrit de plus en plus d’hésiter, son hésitation ne cessait point. Tous les deux en proie à une vive angoissé leurs regards se croisèrent, s’observant et s’évitant à la fois. La situation à durer devenait insupportable. Albert s’écria :

— Vous ne pouvez plus me croire sans preuve ? Eh bien ! vous l’aurez. Celui dont je porte la faute en ce moment viendrait…

— Non ! s’écria-t-elle vivement, non ! Si J’attendais. S’il me fallait celas… tout serait aussi détruit par le doute que par une faute. Vous ne pourriez me pardonner l’insulte, et moi je serais écrasée de honte et de remords devant vous. Non, c’est impossible ! Eh bien, Albert… — Elle s’arrêta haletante. — Eh