Page:Leo - Marianne.djvu/176

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

cette femme, monsieur Pierre, vous qui la connaissez ? ou bien si ce n’est que pour sa dot ?

Pierre ne répondit pas.

— Ce serait toujours bien mal, reprit Fauvette ; mais s’il ne l’aimait pas, au moins pourrais-je croire qu’il m’a aimée et que ce n’était pas un mensonge. Cela m’est trop insupportable à penser. Oui, je voudrais, savoir s’il en est amoureux. Après ça, peut-être pas trop, puisqu’elle vient pleurer dans sa chambre, à ce que j’ai vu.

— Que dites-vous ? de qui parlez-vous ? demanda Pierre vivement.

— De cette demoiselle, qui est sa fiancée, comme il me l’a avoué après m’avoir soutenu le contraire auparavant.

— Elle est venue dans sa chambre ? Quand donc ?

— Il y a trois jours.

— Avec qui ?

— Toute seule.

— Ce n’est pas possible !

— Comment puisque je l’ai vue. J’étais à ma fenêtre, et je la vois à celle d’Albert ; elle s’essuyait les yeux. Alors, moi, la jalousie m’a prise ; j’ai hésité un moment, et puis tout à coup, n’y tenant plus, je suis descendue en courant. J’ai monté chez Albert, et, sans frapper, j’ai ouvert la porte toute grande. Elle était là comme vous êtes ici ; je l’ai très-bien reconnue, allez. Ils étaient tous deux débout près de la table, et elle tenait une lettre à la main. Lui, en me voyant, il est devenu blanc… comme ça ; elle, elle m’a regardée avec de grands yeux pleins d’étonnement, et j’ai bien vu qu’elle était en défiance.

Ah ! si j’avais eu plus de courage ! Mais voilà. Vous savez, je n’ai pas le caractère aux choses hardies, et pas plutôt ai-je eu ouvert la porte comme cela, qu’un tremblemens m’a prise. Je voulais pourtant lui parler à cette demoiselle, quand il s’est avancé sur moi… Voyez-vous, c’était pis qu’un tigre ; il avait des yeux blancs et les roulait sur moi comme s’il m’eut dit : Je te hais ! je te déteste, et tu n’auras plus en moi qu’un ennemi, si tu ne pars pas de suite. J’étais déjà toute saisie, quand, ce qui a achevé de m’épouvanter, ça été de l’entendre, en si grande colère, me dire d’une voix douce (parce que, voyez-vous, il tournait le dos à cette demoiselle, qui ne voyait que moi), oui, d’une voix tranquille, comme si de rien n’était : Pierre n’est pas encore rentré, mademoiselle ; je n’ai pas pu lui faire votre commission. C’est alors que J’aurais dû crier : « Ce n’est pas Pierre qui est mon amant ; c’est toi, menteur, misérable ! » et nous aurions vu ce que la belle demoiselle aurait pensé de ça. Mais je…

— Fauvette ! demanda Pierre, d’une voix pleine de sourds éclats, que dites-vous ? je ne comprends pas !

— Vous ne comprenez pas qu’il lui a fait croire que c’était pour, vous que je venais, que j’étais votre maîtresse et non la sienne, et enfin si bien, qu’il m’a fait passer dans votre chambre par-derrière la commode, comme l’autre jour.

Pierre s’était levé. Il avait la face blanche et convulsée. En l’envisageant, Fauvette jeta un cris.

— Ah ! c’est cela ! dit-il, je sais enfin ! Et vous n’avez pas démenti cette infamie !

— Je le regrette à présent, allez…

— Adieu, Fauvette !

Elle courut après lui.

— Qu’allez-vous faire ? Je suis folle de vous avoir dit cela. Vous allez tuer Albert !

— Oui ! répondit-il, d’un ton sourd, féroce, aveugle, en la repoussant.

Et, la laissant épouvantée, il partit en courant à travers le bois.

Fauvette le suivait des yeux, quand un jeune homme, se détachant du groupe qu’elle avait quitté pour aborder Pierre, vint galamment lui offrir le bras :

— Ce n’est pas un ivrogne, votre monsieur, dit-il, c’est un fou ? Comment peut-il vous quitter ainsi quand il a le bonheur d’être près de vous ? Mais qu’avez-vous, mademoiselle Fauvette ? ajoute-t-il en la voyant pleurer.

— Ah ! je crains d’avoir fait un malheur, s’écria-t-elle. Je lui ai dit une chose qui le met en rage, et je croyais que ce n’était rien. Mais pourquoi cela lui fait-il tant de peine ?

Elle revint ainsi parmi les autres.

— Fauvette s’écria en la voyant la femme à la robe de soie grise, et aux rubans rouges, qui semblait le chef du groupe, comment ! vous pleurez encore ? Cela, devient trop monotone, ma petite.

— Ne la tourmentez pas, mademoiselle Marina, dit le jeune homme qui était allé chercher Fauvette ; il faut tâcher de la distraire plutôt.

— Bon, bon, mon cher, cela vous regarde, et puisque vous y prenez goût, tout est pour le mieux.

Sur cette observation de Marina, Fauvette se tourna vers le jeune homme :

— Je vous suis reconnaissant de votre bonté, monsieur Albin ; mais, il ne faut pas vous y tromper, mon chagrin durera toujours, et d’ailleurs, quand bien même je me consolerais…

— Allons donc ! dit Marie, il faut bien se consoler, ma chère ; que veux-tu qu’on fasse ? Je le suis bien, moi, ajouta-t-elle, avec un soupir.

— Ce qui vaut le mieux, s’écria un autre jeune homme, ce Mérut, qu’Albert avait ren-