Page:Leo - Marianne.djvu/178

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de la lorette et lui dit quelques mots à l’oreille. Elle se leva :

— Eh bien ! partons.

— Où allons-nous ?

— Vous le verrez bien. Qui m’aime me suive ! Vous savez, c’est moi qui paye ; j’ai là tout ce qu’il faut, mes enfants, pour nous faire servir superlativement, et je vous promets que nous allons rire.

Tout le monde se leva, et Florentine fit comme les autres ; mais une angoisse était peinte sur ses traits. Elle regarda Fauvette, et celle-ci s’approcha de Marina.

— Qu’est-ce que vous voulez que nous fassions de cette momie d’Égypte ? répondit d’un ton rude et un peu trop élevé la reine de la fête, à la prière humble et basse de Fauvette.

Miletin s’était approché.

— Sais-tu, dit-il à Marina, qui a lancé Florentine autrefois ? C’est le père d’Albert Brou.

— Bon ! s’écria Marina en éclatant de rire. En voilà une bonne ! Oh ! alors, qu’elle vienne : « Vous venez avec nous, madame dit-elle aussitôt dédaigneusement à Florentine, qui se confondait en remercîments, que la lorette n’écouta pas. Elle prit le bras que Pommerin s’empressait de lui offrir et passa devant, suivie de Mérut avec Marie et de Carline avec le chevelu.

— Miletin Miletin ! crièrent-ils à Florentine.

Et, bon gré, mal gré, le vieil étudiant et la vieille étudiante se donnèrent le bras à la suite des autres.

Un quart d’heure après ils entraient dans un restaurant situé près de la porte Dauphine et de la station, à côté de la rue de la Faisanderie. C’était un de ces restaurants d’été, comme en trouve tant aux environs de Paris, avec des tables en plein air, sous des bosquets, formant chacun un cabinet de feuillage, où chaque groupe se trouve isolé des autres, sinon pour l’oreille, du moins pour la vue.

— Par ici ! dit Pommerin, guidant Marina.

S’adressant au garçon venu à leur rencontre :

— C’est moi qui ai retenu ce bosquet… vous savez ? lui dit-il à demi-voix.

— Bien, monsieur ; on va mettre le couvert. Combien êtes-vous ?

— Deux de trop pour être à l’aise, répondit Marina, après avoir jeté un coup d’œil dans le bosquet. Vous mettrez une petite table ici ; en dehors, pour deux personnes.

— C’est Miletin qui en fera les honneurs à madame, ajouta-t-elle en désignant Florentine. Ne fais pas la grimace, mon vieux, lui dit-elle à l’oreille ; vous défendrez la sortie, et tu la feras parler.

— Ce sont bien eux ! dit-elle encore à Pommerin, après avoir écouté les voix qui partaient du bosquet situé au-dessus du leur.

— Parfaitement. Soyez sûre que je ne me suis pas trompé ; il s’agissait de vous servir.

— Oui, c’est la voix de Beaujeu ! dit-elle en frémissant.

Malgré le bruit générai, car le restaurant contenait un assez grand nombre de consommateurs, on entendait en effet très-distinctement les voix d’à côté, à travers le léger rempart de feuillage. Fauvette se mit à trembler.

— Qu’avez-vous ? lui demanda son compagnon ?

— Oh ! rien, répondit-elle, retenant à grand’peine ses larmes.

Elle avait reconnu la voix d’Albert.

Il causait avec M. Beaujeu de la dernière représentation de la Patti à l’Opéra, trois mois auparavant ; Emmeline regrettait de n’avoir pas entendu la célèbre cantatrice. M. et Mme Brou, M. et Mme Milhau mêlaient de temps en temps leur mot à la conversation. Marianne seule gardait le silence. Toujours attentif pour elle, M. Brou lui en fit l’observation :

— Qu’avez-vous donc, ma chère enfant ?

— Un peu de mal de tête, mon oncle.

— C’est pourquoi vous ne mangez pas ?

— Oh ! ce n’est rien. N’y faites pas attention, je vous prie…

Marina avait donné ses ordres au garçon, presque voix basse. En achevant, elle lui mit 5 francs dans la main.

— À présent, lui dit-elle plus bas encore, servez-nous très-promptement, et faites, attendre ceux d’ici, — elle montrait le bosquet des Brou ; — il faut que nous ayons fini ensemble.

Le garçon fit un signe d’intelligence et partit en courant.

Déjà Miletin était installé en face de Florentine, à une petite table en dehors, tout près de l’entrée du bosquet des Brou. À table, dans le leur, Mérut, Carline, Marie et le Chevelu causaient par moment tous à la fois.

— Quel caquetage ! s’écria Miletin. Mes enfants, laissez parler notre reine.

Cette phrase ; dite d’une voix claire et retentissante, fixa l’attention des Brou : Emmeline tourna curieusement la tête vers la paroi voisine ; les dames sourirent.

— Qu’est-ce que ces gens-là ? demanda en souriant aussi M. Brou.

— Des artistes sans doute, dit M. Beaujeu.

— Oui, c’est ça, une reine de théâtre. Voilà bien le monde parisien. Est-il curieux !

La réponse de Marina s’était fait attendre.