Page:Leo - Marianne.djvu/189

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bien ! la réparation que je vous demande, que j’exige de vous, puisque vous la devez, c’est de ne pas penser à un duel avec M. Démier.

— Ah !… vous avez peur… pour lui ? demanda-t-il amèrement.

Elle répondit froidement :

— Pour lui et pour vous.

— Ainsi, s’écria-t-il, sans vouloir comprendre combien il avait peu de droits à la Jalousie en ce moment, vous nous mettez déjà sur la même ligne ! Cela promet…

Marianne devint plus pâle :

— Non, je ne vous mets pas sur la même ligne, répondit-elle lentement.

Albert sentit le mépris contenu dans ces paroles et il en fut atterré.

— Marianne, dit-il douloureusement, êtes-vous implacable ? Combien vous faut-il d’années d’expiation ? Quels sacrifices ?… dites. Laissez-moi seulement un rayon d’espoir.

— Nous parlerons de cette question, si vous l’exigez, plus tard ; mais vous n’avez pas répondu à ma demande. Voulez-vous me faire le sacrifice de ce duel ? Vous ne trouverez pas d’opposition du côté de M. Démier. Le duel, cela est si simple qu’il est inutile de le démontrer, est une chose absurde et coupable. Il y a eu double injure : Vous l’avez faite, elle vous a été rendue. Vous êtes quittes par conséquent. Cette folie n’aurait d’autre effet que de risquer deux vies et de mettre votre mère au désespoir. Quant à moi, si vous me donnez cette satisfaction, Albert, je ne vous ferai jamais un reproche.

À entendre cette phrase, il crut que son pardon était à ce prix, qu’il restait le fiancé de Marianne, et contenant sa joie :

— Ah ! dit-il, pour obtenir ma grâce, tout me serait possible, hors le sacrifice de mon honneur. Y songez-vous ?

— Votre honneur ! répéta-t-elle en frémissant. Votre honneur, vous le placez dans un nele mauvais et stupide, jugé depuis longtemps, et vous n’avez pas craint… Je vous en supplie Albert, veuillez réfléchir, et ne faites pas ainsi dépendre votre vie, votre conscience, de phrases toutes faites, qui ne supportent pas l’examen.

— Je ne suis par indépendant à ce point de l’opinion, dit Albert froissé, j’ai besoin de l’estime de mes concitoyens.

Elle rougit à son tour, blessée de ce crétinisme moral, pour qui le mot et le préjugé sont tout, et murmura découragée :

— Nous ne pouvons nous entendre.

— Jamais, dit-il, je n’accepterai ce jugement ; je veux au contraire que désormais… Oui, ma pensée fera tous ses efforts pour se rapprocher de la vôtre. Soyez seulement un peu indulgente, Marianne. Vous voulez que ce duel n’ait pas lieu. Je voudrais pouvoir vous satisfaire. Eh bien ! cherchons ensemble… mais auparavant… oh ! dites-moi que vous croyez à mon repentir, et que vous daignerez me pardonner.

— Vous m’avez imposé, dit-elle d’une voix altérée, la plus cruelle déception qui puisse atteindre, à vingt ans, un cœur sincère. Mais je vous pardonnerai en effet, Albert, si vous réparez, par votre loyauté vis-à-vis d’une autre femme, votre conduite envers moi.

— Vis-à-vis d’une autre femme ! s’écria le jeune homme étourdi, que voulez-vous dire ? il n’y a qu’une femme au monde que je puisse aimer !…

Il se reprit :

— À qui je puisse consacrer ma vie.

Marianne ouvrit la bouche ; mais elle parut vouloir contenir des paroles trop vives, et sa pensée ne se traduisit que par un sourire amer.

— Ah ! Marianne ! s’écria le jeune homme en joignant les mains, j’ai cédé, il est vrai, à des entrainements, au mauvais exemple ; je vous ai gravement offensée. Mais, croyez-moi, je suis maintenant au désespoir de pareilles erreurs ; elles me sont impossibles désormais. Votre douleur m’a désolé ; votre généreux élan de confiance, l’autre jour, m’a changé l’âme. Ah ! si vous saviez combien alors j’ai souffert de vous tromper ! J’aurais tout avoué, si j’avais cru pouvoir espérer votre pardon. Du moins, je me suis juré à moi-même d’être tout à vous. J’avais pris des résolutions irrévocables. J’étais sauvé, guéri par vous, Marianne ! Et c’est alors que cette femme… Ah ! combien je la déteste !… Hélas le mensonge force au mensonge. Il m’a paru que celui-là encore était nécessaire ; je me disais qu’il serait le dernier. Fatalité… Oh ! mais vous aurez pitié de moi, Marianne ; vous croirez à mes remords, ils sont éternels. Désormais je vous appartiens tout entier ; je n’ai plus d’autre pensée que de mériter mon pardon et de consacrer ma vie à votre bonheur. Oh ! croyez-en mon désespoir, Marianne, chère Marianne ! si vous saviez quelle nuit j’ai passée ; je pleurais comme un enfant, je me prosternais devant vous, je vous criais : Marianne, oh ! chère fiancée, pourtant je t’aime, va, je t’aime, n’accuse pas mon cœur des erreurs…

Il s’était jeté à genoux ; mais aussitôt la jeune fille s’était levée, droite, indignée, une vive rougeur à la joue. Du geste, elle lui coupa la parole :

— Assez, monsieur, lut dit-elle : vous n’avez plus le droit de me parler ainsi !

Il se releva fort pale.

— Quoi vous refusez de me pardonner !… Vous briseriez nos liens, Marianne ? Oh ! c’est