Page:Leo - Marianne.djvu/209

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et qui accuse de vouloir détruire ces grandes choses ceux qui parlent de nettoyer les vieilles corruptions ! L’ordre nouveau ne vient pas détruire, il vient seulement tout agrandir. La religion mème, il en apporte une nouvelle : la religion de l’humanité, qui seule a le droit de se dire fraternelle ; car elle n’a ni maudits ni feu éternel, elle n’a que des élus ; certaine, car ses dogmes se démontrent, étant les lois de la vie. L’ordre nouveau ne vient pas détruire la famille ; il veut au contraire qu’il n’y ait plus de femme sans mari, ni d’enfant sans père. Il ne tend qu’à fortifier, en les étendant à tous, les bases de la société. Tous les êtres humains naissent libres et égaux en droit. Désormais il n’y a de plaisir, de bien légitime, que ce qui ne nuit à personne et s’étend effectivement à tous. Il est, dans sa clarté rayonnante et pourtant si peu comprise, le principe de 89, le droit nouveau de l’ère nouvelle.

Vous ne m’accuserez pas, mademoiselle, de vous parler politique en vous disant cela ; cependant en voilà sans doute assez. Merci mille fois d’avoir cru que vous pouviez avoir besoin de ma parole. Si vous aviez besoin de mon dévouement, sachez-moi bien tout à vous, et faites-moi cette joie immense de vous adresser à moi.

Agréez, mademoiselle, l’hommage de tout mon respect,

Pierre Démier.


II
Marianne à Pierre.

Vous m’avez dit tout ce qui s’agite en moi et que j’eusse été longtemps à m’expliquer à moi-même. J’ai lu votre lettre avec bonheur, je la relirai, souvent. Quelle joie nouvelle vous me faites connaître ! celle de penser et de croire à deux ! C’est elle qui me manquait, sans que je l’eusse bien compris. Je vous suis, cher monsieur Pierre, profondément reconnaissante. J’accepte le dévouement que vous voulez bien m’offrir, et je m’adresserais à vous, en toute occasion, avec une confiance absolue. Moi aussi, je voudrais vous être bonne à quelque chose et vous rendre un peu de ce vous me donnez.

Mais je ne sais. Je ne me rappelle qu’une chose, bien insignifiante en elle-même, qui paraissait vous être agréable, et ce souvenir est mêlé pour moi d’un grand remords… Je veux parler de ce voile auquel un jour, au bois de Boulogne, vous avez semblé tenir beaucoup, ce qui, pour un homme aussi sérieux que vous, est un enfantillage étrange. Mais je n’ai pas le choix, ne sachant pas ce qui pourrait vous plaire en choses plus graves. Permettez-moi donc de vous envoyer ce souvenir, en vous priant encore de me pardonner. Quand je serai libre, nous nous verrons, n’est-ce pas ? Je serai bien heureuse de vous voir et de causer avec vous.

Votre sincère amie,

Marianne.


III
Pierre à Marianne.

Chère mademoiselle, oh ! Marianne, votre lettre, cet envoi, m’ont rendu fou. Je reviens du bois de Boulogne, où j’ai couru tout le jour. Je suis retourné à la place où vous me l’aviez repris avec tant de courroux, ce voile que vous m’avez rendu maintenant, et que je puis couvrir de baisers en osant croire que vous ne le défendez plus. Ah ! Marianne, un mot de plus, je vous en supplie. Ayez pitié de moi. Je suis vraiment éperdu, presque fou, je vous le dis. L’espoir me suffoque et la crainte me tue !… Marianne, je vous sais, je vous comprends trop bien pour ne pas être sûr qu’à un seul vous pouviez envoyer ce don et les paroles qui l’accompagnent. Mais alors… Eh bien ! je n’ose pas aller plus loin, et à ce point la logique me semble insensée ; j’ai peur d’être le jouet de quelque hallucination. Non, je ne peux pas être l’élu du bonheur à ce point-là. Parlez-moi, expliquez-vous bien, ayez pitié de mon trouble ; c’est votre parole seule que je puis croire. Et tenez, j’ai peur de ce que je viens d’écrire. Il me semble que vous allez être indignée… me mépriser, d’un si fol orgueil. Ne m’accablez pas ! Ah ! si vous saviez quel respect, quelle adoration !… J’attends à genoux votre parole, et, quelle qu’elle soit, je suis à vous de toute mon âme, pour toujours.

Pierre.


IV
Marianne à Pierre.

Oui, si vous m’aimez comme je le crois, Pierre, je veux être votre femme.

C’est une conviction profonde qui me dicte cette parole. Depuis que la pensée s’en est présentée à moi, elle m’a saisie toute entière, et ma résolution est aussi inébranlable qu’elle a été soudaine. C’est comme l’impression d’une vérité, d’abord méconnue, qui se dévoile tout à coup, évidente comme la clarté du jour. Ou je serai votre femme ou je ne me marierai jamais.

J’ai un chagrin, c’est d’avoir pu croire que j’en aimais un autre, et d’avoir donné à un