Page:Leo - Marianne.djvu/217

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res de ceux qui déclaraient atteinte d’un peu de folie la fiancée de Pierre Démier : ce fut l’arrivée d’une jeune personne de Paris, qu’on découvrit être une fille de mauvaises mœurs, et à qui Mlle Aimont fit donation, par-devant notaire, d’une somme de cent mille francs. Cette fille, que Mlle Aimont appelait sa sœur et à qui elle enseignait la musique, fut la seule femme, avec Mme Démier, qui assista au mariage.

Les Brou se chargèrent d’enlever tout remords à leur sujet à Marianne en lui envoyant, à titre de réclamation, une liste de dépenses faites par elle en dehors de sa pension, et où se trouvaient portés jusqu’aux bouquets qui lui avaient été offerts par Albert ou par M. Brou. Le livre de comptes du docteur a toujours été des mieux tenus.

Albert se félicite maintenant de n’avoir pas épousé sa cousine, et dit en frisant sa moustache, d’un air plein du sentiment de sa dignité : Je l’ai échappé belle !

Emmeline seule, bien qu’elle renie très-haut sa cousine en public, la regrette au fond ; car Marianne était une amie précieuse, et par exemple elle n’eût pas manqué d’ajouter un brillant cadeau à la jolie layette qu’Emmeline brode en ce moment. Que les gentillesses passées de M. Beaujeu aient nécessité d’autres layettes et que ces layettes aient manqué, c’est là le moindre souci d’Emmeline. Elle ne songe qu’à entourer de soins et d’éclat cet héritier de la famille, qu’elle a mis déjà, tout enveloppé de dentelles blanches, dans sa calèche bleue, aux bras d’une belle nourrice, couverte de rubans. Regardant plus loin, elle rêve aussi pour lui les plus grands succès dans le monde et les plus hautes dignités dans l’État.

— Oui, c’est dommage que Marianne n’ait pas voulu profiter de sa belle situation. Elle était bonne et généreuse, et Emmeline l’eût aimée pour belle-sœur bien plus que cette autre héritière, égoïste et prétentieuse, qu’Albert a épousée, et qu’avec son mari, en petit comité, elle traite de pimbêche. Mais M. de Beaujeu, qui, sur le chapitre des neveux et des convenances, est très-sévère, a défendu à sa femme toute communication avec son extravagante cousine. Emmeline obéit à son mari.

Pierre et Marianne sont allés se fixer à Trégarvan, où Pierre est déjà adoré de tout le canton, autant que la chère demoiselle, comme ces Bretons appellent encore la fille de Jacques Aimont. Une autre personne, qui vit avec eux et passe pour être la sœur de Pierre, est aussi très-bonne et très-aimée ; c’est Fauvette. Elle est encore un peu mélancolique et secoue la tête quand on lui parle de mariage. Une passion nouvelle occupe son cœur pour le bel enfant de Marianne, qui déjà balbutie le mot de petite tante, et elle répète qu’elle ne veut point d’autre amour. Cependant, Pierre espère lui faire épouser un jeune homme de ses amis, qui vient quelquefois à Trégarvan, et que la douceur et la beauté de Fauvette ont touché depuis longtemps ; car il l’avait déjà remarquée à Paris.

L’amour de Pierre et de Marianne s’est accru par la vie commune, et sans doute aussi par le bien qu’ils font ensemble. Ils ne se bornent pas à soigner les malades et à soulager les pauvres ; ils s’attachent avec plus de passion encore à éclairer les esprits. Déjà ils ont fondé plusieurs écoles gratuites sur un plan nouveau, et l’on dispose les bâtiments vides du château pour y établir un asile d’enfants abandonnés, qui partageront avec le petit Jacques les soins et les enseignements de M. et Mme Démier.