Page:Leo - Marianne.djvu/47

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nous sommes fiers de citer M. Albert Brou, le fils de l’éminent docteur. Mais déjà l’héroïque Démier est à la lucarne. Les flammes redoublent d’intensité, elles l’entourent, le léchent ; elles semblent vouloir lui disputer leur proie. La vieille femme hésite, pousse des cris perçans ; on craint qu’elle n’entraine son sauveur. Un instant, une fumée rougeatre les dérobe aux yeux des spectateurs, qui jettent des cris d’angoisse. Enfin l’on voit reparaitre Pierre Démier, trafnant après lui celle qu’il arrache à une mort épouvantable, au péril de sa propre vie. Mais le toit semble près de s’effondrer : seraient-ils sauvés ? Albert Brou est au sommet de l’échelle, il pose un pied sur le toit. Tout le monde lui crie : N’allez pas ! n’allez pas !  !

En effet, la moindre surcharge peut causer l’effondrement. M. Brou s’arrête. Pierre Démier arrive enfin près de l’échelle et il remet la malheureuse presque évanouie à Albert Brou, qui, chargé du fardeau, descend quelques échelons et le remet à la personne qui le suit. Pierre Démier descend à son tour et un immense soupir de soulagement s’échappe de toutes les poitrines. Un instant après, la maison tout entière fondait dans la braise. Mais tous étaient sauvés ! et l’on n’avait plus qu’à remercier la Providence de n’avoir point permis que nos jeunes et vaillants concitoyens fussent victimes de leur dévouement. »

— C’est une absurdité ! s’écria Mme Brou. Aller faire un héros de ce Pierre Démier, le fils de notre charpentier ; tandis qu’Albert…

Elle se leva dans un transport d’indignation :

— Je croyais que l’Écho pictorien était un journal qui se respecte, mais…

— Me Sera-t-il permis de donner mon avis ? dit Albert.

— Sans doute, parle ; je veux que ton père aille exiger une rectification.

— Voyons, maman, un peu de calme. Tu n’y étais point, n’est-ce pas, et j’y étais ? Eh bien ! le récit est amphigourique et boursouflé, mais après tout assez exact. Pierre a été réellement l’initiateur du sauvetage, c’est lui qui a porté l’échelle…

— Mais c’est toi qui as monté.

— Oui, mais après lui.

— C’est toi qui as arraché la vieille femme, qui as marché sur le toit brûlant, au milieu des flammes !…

— Non, mille fois non ; c’est Pierre.

— Ton père nous l’a dit.

— Mon père s’est trompé ou plutôt on l’a trompé, car il n’est arrivé qu’après l’évènement et quand je venais de tomber, ainsi que Pierre, aux derniers échelons, parce que l’échelle était rongée par le feu. C’est Pierre qui est allé sur le toit jusqu’à la lucarne, et je l’attendais en effet au haut de l’échelle, prêt à lui porter secours, si……

— Prêt ! oui, sans doute, héroïque enfant, et ce n’est pas la faute si ce Pierre a passé devant. Voilà comment se font les réputations. D’ailleurs tu es toujours trop modeste, toi.

Albert se mit à rire.

— Voyons, maman ; il ne faut pas être jalouse comme ça. Je voudrais bien être le héros, moi, puisque ça te ferait plaisir, ce que peut-être on m’en aimerait davantage. (Il regarda Marianne.) Mais enfin ce n’est pas moi cette fois-ci ; je tâcherai de prendre ma revanche un autre jour.

— Non, vraiment ! s’écria-t-elle ; pour cela, je te le défends. C’est assez comme cela. Veux-tu me faire mourir ? Tu n’as pas le droit de l’exposer.

— Alors il ne faut pas en vouloir à Pierre d’avoir pris ma place. À propos, je voudrais bien avoir de ses nouvelles, car c’est lui qui a dû se brûler ! Puis il est tombé de plus haut que moi.

— Bah ! un garçon de sa classe ne se sera pas fait de mal ; ils sont habitués… D’ailleurs tu n’es pas lié avec lui.

— Mais si, dit Emmeline ; je l’ai vu l’autre jour avec Albert, qui l’emmenait dans sa chambre.

— Albert ! Je l’avais défendu de te lier avec ce garçon, dit Mme Brou ; il y a assez de jeunes gens de notre rang, sans que tu ailles chercher un ouvrier…

— Mais Pierre est un des plus distingués de l’école, et du reste un excellent garçon ; ce n’est pas lui qui est ouvrier, c’est son père.

— C’est la même chose ! répliqua d’un ton sec la fille de maître Chouron. Si tu l’engages à venir chez toi, il faudrait donc aussi que tu allasses chez lui… Cela ne convient pas au fils du Dr Brou ; je te l’avais dit, et je suis mécontente que tu n’en ales pas tenu compte.

— Ne t’échauffe pas là-dessus, maman ; Pierre est trop fier lui-même pour se lier avec nous, et il a plus d’une fois dédaigné nos avances. Il ne songé d’ailleurs qu’à travailler. S’il est venu ici quelquefois, c’est parce que naturellement nous nous rencontrons en chemin et que je lui ai demandé des explications, pour lesquelles j’avais besoin de lui montrer mes cahiers. Mais, l’autre jour, quand je l’ai engagé à monter simplement, — j’étais avec Turquois et Chevin, — pour causer et fumer avec nous, il a refusé sous un prétexte…

— Tu lui demandes des explications, toi, à ce garçon-là. Est-ce possible ?

— Puisque je te dis qu’il est peut-être le