Page:Leo - Marianne.djvu/96

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blait ne l’avoir pas sentie, et malgré la douceur de la forme, elle comprit un blâme sous ses observations. Ceci la troubla profondément. Elle avait donc eu tort ? Sa première impression fut un mouvement de confusion, presque de remords ; of d’autant plus vif que l’avant-veille encore, elle avait fait contre le séducteur d’Henriette un acte décisif de réprobation, qui de nouveau l’avait exposée aux reproches de Mao Brou, aux observations peinées de son tuteur. Voilà ce qui avait eu lieu.

Mme la préfète avait donné une soirée pour l’anniversaire de sa fille, soirée d’été, dans les salons et dans les jardins illuminés de lanternes vénitiennes ; soirée ravissante, dont tout le monde avait parlé, surtout ceux qui n’y étaient pas. La famille Brou, invitée des premières, n’avait pas manqué d’y assister avec un empressement très-vif. « Charlotte, » c’est-à-dire la fille du préfet, n’était-elle pas l’intime amie d’Emmeline ? Telle était du moins la prétention de Mme Brou. Les Turquois étaient également de la fête, et l’aimable Alfred était accouru des premiers s’inscrire sur le carnet d’Emmeline et de Marianne. Déjà celle-ci avait salué froidement Mme Turquois, dont les jours précédents elle avait évité la présence en gardant la chambre pendant une visite de ces dames. Quand Alfred, avec ce même air de tendre et langoureuse adoration qu’il prenait toujours vis-à-vis de Marianne, s’inclina devant elle en la priant de lui accorder la première schotish, un flot d’indignation vint battre le cœur de la jeune fille et ses traits exprimèrent puissamment ce qu’elle ressentait.

— Non, monsieur, répondit-elle, d’une voix presque dure et pourtant contenue.

Le charmant Alfred se redressa d’un air surpris ; mais, ne pouvant si vite douter des égards qu’on lui devait, il dit d’une voix insinuante :

— Alors la seconde, n’est-ce pas ?

— Aucune reprit Marianne.

Cette fois, le doute n’était plus permis.

— Qu’y a-t-il donc, mademoiselle, que J’aie mérité de pareilles rigueurs, demanda-t-il d’un ton glacial et scandalisé.

Plusieurs autres jeunes gens entouraient Marianne, à ce moment, pour l’inviter à leur tour, attendant la fin de ce dialogue et ne pouvant manquer de l’entendre. Troublée, mais dominée par l’indignation plus que par la timidité, la jeune fille jeta pour toute réponse à l’audacieux interrogateur ce nom, accompagné d’un regard méprisant :

— Henriette.

Une légère pâleur se répandit sur le visage du jeune Turquois, et il se retira en saluant sans répondre un mot.

Mme Brou, assise à côté de sa nièce et témoin de cette scène incroyable, était restée muette d’indignation et… de convenance. Les autres témoins, qui la plupart ignoraient l’aventure, avaient mal entendu ou n’avaient pas compris, mais devaient chercher à s’éclairer. C’était un scandale ! un sandale commis par sa nièce, chez Mme la préfète, et contre une famille amie ! Ah !… Mme Brou suffoquait ! Elle faillit s’évanouir et ce ne fut que la crainte d’augmenter le scandale qui la retint. Pauvre Mme Brou ! Elle était vraiment bien malheureuse ! Elle fit signe à son mari, qui n’était pas loin de là, et le pria de l’emmener au jardin, en priant Mme Touriot, la femme du major, de veiller sur ses filles, qui partaient pour le quadrille, et de les lui amener, dès qu’il serait fini.

Mme Touriot, assise de l’autre côté de Marianne, avait vu et entendu toute la scène, et l’avait parfaitement comprise. Elle dansait ce quadrille avec le neveu de la préfète, Horace Fauque, et se hâta de tout lui raconter.

— Eh mais ! dit-il, c’est une originalité, cela ! Elle est vraiment particulière, cette jeune fille. C’est charmant ! Aidez-moi donc, à l’obtenir pour femme, dites, vous qui êtes si habile et si séduisante. Vrai ! Cela m’irait ! Voulez-vous que nous fassions alliance ?

— À quelles conditions ?

— Comment ! êtes-vous si peu désintéressée ?

— Pas du tout ; c’est vous qui parlez d’alliance. Eh bien ! qui dit alliance dit traité, conditions par conséquent.

— Vous êtes un vrai diplomate, c’est pourquoi j’insiste sur votre concours.

— Ne le croyez pas. Si j’étais diplomate, il y a longtemps que M. Touriot serait chef de bataillon.

— Mon oncle entend bien vous aider.

— Vraiment ? Oh ! comme je vous serais reconnaissante !

— Prouvez-le moi en m’aidant à devenir un mari. Moi, un mari ? ce sera singulier pourtant. Mais cette belle enfant en vaut le ridicule, parole d’honneur ! Et même elle l’efface, n’est-ce pas ?

— Il y a peut être un moyen.

— Ah ! voyons ?

— Puisqu’elle est si indignée contre les séducteurs…

Elle s’arrêta en regardant malignement le lovelace, qui, souriant aussi, d’un air hypocritement innocent, répliqua :

— Je ne comprends pas.

— Il faut lui donner à penser sur la conduite de son fiancé là-bas.

— Ah ! j’y suis… Une jolie petite trahison. Vous êtes adorable !

— Seulement il faudra par contre lui vanter…